vendredi 21 avril 2017

Jojo Lafortune n'aime plus Tricard Tartineau

Joseph Lafortune n'était ni jojo ni fortuné. Pourtant, on l'appelait Jojo Lafortune. C'était un gars parmi tant d'autres qui tirait le diable par la queue. Il recevait salaire le jeudi matin et le jeudi soir il ne lui restait plus rien après qu'il eut payé six fois ses impôts, des taxes impossibles et de la bouffe beaucoup trop chère. Pas besoin de vous dire qu'il ressentait de la colère du vendredi au mercredi. Essayez de vivre pendant une semaine avec seulement 10 sous dans vos poches. C'est pourtant ce que faisait Jojo Lafortune, jour après jour, et depuis des années.

Il n'était ni grand ni beau. Ni petit ni laid. Il ressemblait à la moyenne des Québécois avec sa casquette de baseball, son manteau et son pantalon de denim un tant soit peu élimés. Il passait inaperçu dans la foule. C'était l'homme de la rue typique.

Jojo Lafortune était torturé par toutes sortes de peur. La peur de manquer d'argent. La peur de se nourrir dans les vidanges. La peur de ne jamais pouvoir prendre sa retraite. La peur de perdre son emploi. La peur des étrangers...

Pour ce qui est de la peur des étrangers, elle était essentiellement concentrée sur la peur des musulmans.

Jojo Lafortune se nourrissait essentiellement de ce Docteur Ballard idéologique livré pour lui par le géant médiatique Kébécon, propriétaire du Journal de Mont-Royal, du réseau de télévision TVQ et d'autres média spécialisés dans le jaunisme et phobies de toutes formes.

Il aimait bien le chroniqueur Tricard Tartineau, un opportuniste qui colportait la haine de ses semblables tous azimuts pour nourrir Kébécon. La haine permettait à Kébécon d'engranger des revenus. Kébécon avait compris que le secret de la réussite, dans le domaine des médias, est de puiser dans les bas instincts de la foule.

Tricard Tartineau était passé maître dans l'art de nourrir la meute avec de la bouffe à chien. Il connaissait l'art de la faire hurler. Un art qui ne nécessite pas tant de génie. Il ne suffisait que de piquer la bête au bon endroit pour qu'elle hurle à fendre l'âme.

Jojo Lafortune était convaincu que Tartineau avait toujours raison.

Comme il était convaincu que sa misère trouvait sa source chez ces maudits islamo-gauchistes, communistes et autres porteurs de carrés rouges qui bloquent les rues.

Jojo voulait devenir riche, voyez-vous, et c'est la gauche qui l'en empêchait évidemment. Pas son patron. Ni la mafia. Ni les politiciens à la solde du capitalisme sauvage.

C'est elle qui le maintenait dans cette pauvreté crasse.

Elle et les immigrés qui volaient les jobs de tout le monde...

-Les Québécois devraient se soulever! hurlait parfois Jojo. On devrait tous les foutre dehors les immigrés pis les arabes! J'y va's-tu chez-eux moé? Non! Bin qu'i' viennent pas chez-nous!

Pendant la journée, Jojo Lafortune avait encore le malheur d'entendre Tartineau commenter l'actualité à la radio après l'avoir lu le matin dans le Journal de Mont-Royal.

Jojo était branché toute la journée sur les radios-poubelles alors qu'il conduisait son camion de livraison pour moins de douze dollars de l'heure.

Le soir venu, il regardait les Nouvelles TVQ à l'écran.

Tartineau y était encore. Ainsi que Mario Dupont, un autre type grassement payé pour servir de la bouffe à chien à la clientèle de Kébécon.

À les entendre, il faudrait fermer le robinet de l'immigration sous peine de ne plus savoir comment cuisiner une tourtière d'ici dix ans.

-Encore dix ans, se disait Jojo, et on va tous être obligés de parler arabe pis d'manger du coucou! J'mange pas d'coucou moé!

Il voulait dire du couscous, évidemment. Mais comme il n'en avait jamais mangé, il ne savait pas comment ça se prononçait.

J'oubliais de dire que le médecin de Jojo lui prescrivait toutes sortes de produits pour le calmer.

C'est que Jojo faisait de l'hypertension artérielle en plus de son anxiété corrosive.

Pourtant, Jojo Lafortune changea du tout au tout lorsqu'il dut encore une fois couper dans ses dépenses.

Il commença par couper la télévision par câble pour au moins se payer l'Internet.

Il cessa aussi de lire le Journal de Mont-Royal, préférant garder son dollar quotidien pour se payer l'Internet.

Finalement, il se lassa des radios-poubelles.

-J'ai besoin de calme calice! disait-il.

Et il se mit à écouter la chaîne Ici Musique qui ne diffusait, évidemment, que de la musique.

Le soir venu, il regardait des documentaires sur l'Argentine, la Nouvelle-Zélande et le Maroc plutôt que de se brancher sur les nouvelles. Il s'intéressait maintenant aux trous noirs, à la biologie et bien sûr à la musique.

Jojo constata qu'il n'avait manqué aucune nouvelle importante. Les informations lui parvenaient tout de même par d'autres canaux, sa page Facebook par exemple, sans qu'il n'ait à cautionner la version trafiquée par Kébécon.

Cela contribua à sa métamorphose.

Jojo n'en devint pas plus riche.

Il paya tout autant de taxes et d'impôts qu'auparavant.

Néanmoins, Jojo forgeait ses propres réponses et ne s'alimentait plus l'intellect dans le cloaque de Tartineau.

Sa curiosité continua de s'accroître. Il écoutait plus de documentaire, lisait plus souvent sur tous les sujets et se faisait sa propre idée sur toute chose.

Il était aussi devenu plus sociable.

Il parlait à tout le monde, Jojo. Même aux Arabes. Même aux femmes voilées.

Puis il comprit enfin que nous nous faisions tous fourrer par le capitalisme sauvage.

Tartineau servait le capitalisme sauvage de même que Mario Dupont et tous les distributeurs de bouffe à chien du réseau Kébécon.

Ça lui semblait maintenant clair et net.

-Comment ai-je pu être si con? se demandait-il parfois. Comment ai-je pu les laisser contrôler ma tête et mes idées?

Un mensonge mille fois répété finit par devenir une vérité. Joseph Goebbels, le chef de la propagande du temps des nazis, l'avait très bien compris.

Jojo Lafortune n'allait plus se laisser prendre au piège.

Il serait désormais libre et indépendant.

Et il écouterait les concertos pour violoncelle de Bach plutôt que les sempiternelles conneries de Tricard Tartineau.

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