samedi 4 mars 2017

Vieillir d'un an

Je vieillis d'un an demain. Je devrais dire d'un jour. Ou bien je ne devrais pas le dire, tout simplement. Lorsque j'allais encore à l'école j'évitais de dévoiler mon jour d'anniversaire pour éviter de recevoir une raclée. Nous avions, je m'en confesse, d'étranges coutumes dans mon coin. Quand c'était ta fête, ça l'était au sens malpropre autant qu'au sens défiguré. J'en ai connu qui se sont fait mettre de la colle dans les oreilles. D'autres qui ont fini avec un plâtre. Nous étions tellement pauvres que nous n'avions que la violence pour exprimer notre tendresse.

Vieillir, c'est aussi voyager dans ses souvenirs.

Je ne croyais pas durer aussi longtemps, même si je ne suis pas tout à fait un vieillard. J'ai cru un temps que je vivrais une vie de météore, comme mes idoles de jeunesse Jim Morrison, Jimmy Hendrix, Janis Joplin. Le destin a plutôt décidé que j'allais durer dans le temps, du moins jusqu'à ce ma barbe soit parsemée de poils gris.

Je ne suis tout de même pas si vieux. Je n'aurai que quarante-neuf ans après tout. Il me reste encore trois cents ans à travailler d'ici ma très hypothétique retraite...

Mon histoire a commencé un cinq mars mil neuf cent soixante-huit. J'étais le troisième enfant d'une famille de quatre garçons. Les quatre frères Dalton comme disait mon père pour faire oublier à ma mère qu'ils n'avaient pas eu de chance.

Je suis né avec trois ou quatre tours de cordon ombilical autour du cou. J'étais plutôt bleu et on m'a gardé sous incubateur quelques jours. On m'a aussi coupé le prépuce à la naissance. On prétendait à cette époque que la circoncision prévenait les infections. J'y vois indirectement un signe qui me permettrait de me convertir au judaïsme sans subir de mutilation. Je comprends mieux pourquoi les adultes disaient que j'étais un petit Juif ou bien un petit Moses (prononcez Mosusse).

Il paraît que je dormais, mangeais, pissais et chiais. Je pleurais très peu. Je n'ai pas été un bébé difficile. J'avais les cheveux blonds bouclés. Un vrai petit Saint-Jean-Baptiste comme disait ma mère. Je devais être beau j'imagine...

Je n'ai pas plus été un enfant difficile. J'étais très indépendant. Je jouais seul dans le monde que je m'étais créé. Je parlais avec mes amis imaginaires, dont un lutin qui m'accompagnait à l'église tous les dimanches. Mes parents durent croire que j'étais un peu fou. Je savais que je ne l'étais pas qu'un peu. Et je m'en foutais éperdument puisque ce monde me semblait déjà sans logique.

Je n'étais pas un enfant que l'on pouvait câliner. Les câlins, pour moi, c'était pour un bébé. Dont mon plus jeune frère. Défoulez-vous sur lui et laissez-moi tranquille que je devais penser.

J'étais sauvage sans savoir encore que je l'étais vraiment de par mes origines autochtones.

Lorsqu'il y avait de la visite à la maison, j'allais me cacher sous le lit ou bien dans un garde-robe. Je craignais d'avoir à toucher des gens, d'avoir à les embrasser ou bien à jouer un rôle qui me déplaisait.

Je devins un premier de classe à l'école. J'avais cette faculté de m'isoler pour digérer l'information. Bien que je dessinais tout le temps en classe, j'entendais et retenais tout sans efforts. Je n'avais pas besoin d'étudier. J'allais plus vite que le programme et trouvais du temps pour rigoler. Tant et si bien que j'étais souvent en punition pour avoir perturbé la classe avec mes rires.

-Bouchard, à la bibliothèque!

À la bibliothèque je pris coutume de lire les manuels des professeurs... Je prenais encore plus d'avance sur le programme et revenais en classe pour faire chier mes profs comme le p'tit Jésus faisait chier les savants du temple.

Comme j'étais déjà parmi les plus costauds de la classe, on me laissait tranquille. Quand on tentait de s'en prendre à moi je soulevais une grosse pierre et courrais derrière mon potentiel agresseur pour lui fracasser le crâne. Heureusement qu'ils courraient plus vite que moi... Néanmoins, cette bonne vieille stratégie m'aura toujours réussi. Bref, on me foutait généralement la paix. J'étais un cinglé.

Puis vint l'adolescence, cet âge ingrat. Les poils, la puberté et les rêves érotiques qui ne se concrétisaient pas dans la réalité. Puis le travail, les obligations, l'avenir...

Je voulais devenir Gotlib ou rien. C'est-à-dire dessinateur de bandes dessinées.

Mais plus j'allais à l'école, plus ce rêve s'effaçait.

Je pourrais aussi devenir avocat, comédien, auteur de pièces de théâtre, romancier, philosophe et j'en passe.

J'ai eu le malheur de passer par le privé au niveau collégial. J'étais parmi les plus pauvres du collège. Ce qui n'aurait pas été le cas au Cégep. Les gosses de riches portaient tous des vêtements griffés de la célèbre marque Polo. Nous avions formé une petite bande de rejetés: le club des prolos. Nous arborions un sigle Polo trafiqué. Le marteau du joueur de polo était croisé avec une faucille.

J'ai été accepté en droit à l'Université Laval. Je m'y suis senti tout aussi mal à l'aise. Je souhaitais devenir avocat des combattants de la liberté, défenseur de la veuve et de l'orphelin. Je fus amèrement déçu. D'abord, j'ai dû travailler à titre de préposé aux bénéficiaires à l'hôpital pour payer mes frais scolaires. Comme je travaillais trop, mon intérêt pour les études alla en s'atténuant. Au bout de quelques mois, j'en vins à militer pour une secte trotskiste puis pour une secte anarchiste. Je voulais la révolution ou rien. J'en avais soupé de l'injustice sociale. J'en avais trop vu et trop subi.

J'abandonnai mes études pendant deux ans pour finalement revenir à l'Université du Québec à Trois-Rivières où j'obtins un baccalauréat en philosophie en 1992. J'ai entamé des études à la maîtrise puis je suis tombé amoureux pour compliquer les choses. J'ai mené une vie rock and roll au cours de cette période. J'ai franchi les portes de la perception. J'ai même appris à jouer de la musique. Et cela m'a mené à voyager dans l'Ouest et dans le Grand Nord pour tout simplement décrocher de tout.

Je suis né à nouveau en 1993. La chenille que j'étais devint en quelque sorte un papillon. Je me suis mis à voler de mes propres ailes, quitte à me cogner contre tous les murs.

Je vous épargnerai les détails quant à la suite des événements.

J'ai aimé. J'ai eu de la pépeine. J'ai rencontré des tas de gens sympathiques, étrangers ou exubérants.

J'ai lu des tas de livres.

J'ai écrit des tas de trucs.

J'ai dessiné.

Puis j'ai travaillé, ici et là, pratiquant trente-six métiers et trente-six misères.

Je regarde tout ce temps écoulé derrière moi et j'ai parfois de la peine à y croire.

Est-ce que tout ça m'est vraiment arrivé?

N'était-ce qu'un rêve et parfois un cauchemar?

C'est ma vie. Comme dirait Adamo, je n'y peux rien. C'est elle qui m'a choisi.

Je ne reviendrais pas à mes vingt ans.

Malgré tout, la vie me semble plus facile à mon âge.

Je ne me sens plus contaminé par des rêves de gloire et autres idéaux de jeunesse remplis de fatuité.

Marcher une heure sans avoir mal me semble une belle aventure.

Voir un oiseau voler me ravit.

Je trouve mon bonheur sans efforts à vivre sans remords ni ressentiments.

Bref, j'ai atteint une certaine joie de vivre.

J'ai une bonne et belle compagne de vie.

J'ai des gens qui m'aiment et que j'aime dans ma vie.

Vieillir ne me semble pas si mal.

Du moins, pour le moment.

Puisse-t-il toujours en être ainsi.

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