lundi 13 février 2017

Menaces de mort envers une tuque péruvienne

On ne saurait écrire des récits déjantés sans prêter une attention toute particulière aux événements qui surviennent dans la vie de nos frères et soeurs humains. Tel que je suis, je retiens tout ce qui sort de l'ordinaire. Est-ce une forme de voyeurisme? Pourquoi pas... On pourrait me le reprocher et je m'en fous. Je collectionne les histoires insolites comme d'autres ne disent jamais rien et sont fermées comme des huîtres pourries qui puent du dedans.

Je vais donc vous raconter une anecdote dont j'ai été témoin hier et vous laisserai le soin d'en trouver une morale, sinon une signification.

J'étais à la pharmacie et j'attendais d'obtenir ma prescription. Un monsieur dans la quarantaine fit irruption dans la pharmacie en haletant. Il avait l'air d'un gars pas très dangereux. Il arborait une barbe de trois jours sous sa tuque péruvienne. Son regard était idoine à celui d'un étal de poissons morts malgré son ton haletant. Bref, il avait l'air bizarre. Bizarre comme je les aime lorsque vient le temps de rédiger une histoire à dormir couché en criant poulet si je t'attrape!

-Mad'moiselle! Puis-je vous emprunter le téléphone, s'il-vous-plaît... Je n'ai pas le téléphone et il m'est arrivé quelque chose de grave... S'il-vous-plaît... Je dois appeler le neuf un un...

La caissière, une jeune fille aux cheveux noirs de jais avec un accent maghrébin, acquiesça à sa demande sans faire d'histoires et lui passa illico le combiné.

-Bonjour neuf un un? Vous êtes bien neuf un un?...

Évidemment, j'entendais tout ce qu'il disait puisqu'il parlait très fort. En fait, tout le monde entendait sa conversation et y prêtait attention. Comment en aurait-il été autrement? Nous attendions nos médicaments et il n'y avait rien à faire...

-Neuf un un? Oui, madame... C'est pour vous dire que mon voisin est un fou... Il est plus grand et plus fort que moi... C'est une armoire à glace et moi je suis tout p'tit et pas musclé... Il m'a rentré dans le mur ce matin alors que je sortais pour aller faire pisser mes deux p'tits chiens, Spoukie et Smoutchie... Il m'a rentré un doigt dans l'oeil puis il m'a dit qu'il est un agent double... C'est un policier... Il a dit que si j'me plaignais que personne ne voudrait me croire parce qu'il est dans la police... J'sais pas c'qu'i' lui a pris... C'est un malade...Ça fait deux ans qu'il me menace et là, madame, j'ai peur... Quoi? Vous... Vous allez me transférer à la police? Ok...  Merci madame...

Tout un chacun tendait l'oreille pour ne pas rater un mot de ce que l'hurluberlu criait presque au téléphone. C'était difficile de rater ça, mais sait-on jamais. Il nous offrait un spectacle pour le moins captivant. On en aurait même oublié notre prescription de médicaments.

-Police? Vous êtes une police hein? poursuivit-il. Je m'suis fait rentrer dans l'mur par un agent double qui se dit policier et qui m'a dit que si j'me plaignais à vous personne ne me croirait... Il m'a dit que je l'évitais tout l'temps parce que je ne l'aimais pas ou quelque chose du genre... J'lui ai dit que j'avais peur de lui. Comme ça t'as peur de moé mon tabarnak? qu'il m'a dit en me prenant à la gorge. Puis il m'a rentré un doigt dans l'oeil et a menacé de me battre à mort... Il a dit que personne ne me croirait... Qu'il n'avait qu'à dire qu'il est policier pour qu'on ne me croie pas... Où je suis? J'suis à la pharmacie... Qui j'suis? Eh bien j'suis Louis-Georges... Louis-Georges Lafrenière... Oui... Né le 7 février 1974... Vous avez pas besoin d'ma date de naissance? Ok... Où c'est arrivé? Sur la rue Sainte-Irène... Au 715 rue Sainte-Irène... Quoi? Bien sûr que je ne suis pas chez-moi... J'ai peur... J'ai peur qu'il me tue... Mon voisin n'est pas normal... Oui, c'est mon voisin... Il a une grosse barbe noire et ressemble à Brutus... Brutus dans les aventures de Popeye...  Popeye qui? Popeye le marin...  Il vit au 717... Moi au 715... Pourriez-vous venir me voir devant le Super C? Je ne vais pas bouger de là... Je serai devant... C'est ça... J'ai peur de rentrer chez-nous... C'est un policier... Oui... Un agent double... Une armoire à glace... Son nom? J'sais pas... J'dirais qu'c'est Chien Sale... C'est un chien sale c'gars-là... Il veut me tuer madame la policière... Brutus la brute... Appelez-lé comme ça... Oui... Me tuer... Pis moé j'vous appelle parce que j'veux pas mourir... J'suis cardiaque en plus... J'ai un souffle au coeur... C'est ça... Devant le Super C... J'raccroche pis j'm'en va's là... Vous allez venir me voir, hein? Ok... Merci madame l'agente... Merci...

Le pauvre homme remit le combiné à la caissière.

-Merci mad'moiselle... J'espère juste que je n'ferai pas une crise de coeur... J'ai un souffle au coeur mad'moiselle.. Pourriez-vous regarder de temps en temps si je tiens debout devant le Super C? J'ai peur que mon coeur lâche mad'moiselle... C'est trop d'émotions pour moé ça! 

-Oui m'sieur... J'vais voir... Soyez sans crainte...

-Vous êtes bien fine... Merci mad'moiselle... Que Dieu vous bénisse!

Il sortit avec sa tuque péruvienne et sa barbe de trois jours. J'étais maintenant dans la file d'attente pour passer à la caisse avec ma prescription. Deux vieilles commères étaient devant moi et, évidemment, elles commentaient ce spectacle dont nous venions tous d'être témoins.

-C'gars-là je l'connais... C't'un fou... I' fait v'nir la police pour rien au Super C toutes les semaines... La dernière fois c'était parce qu'il avait entendu un tremblement d'terre... dit la plus vieille et la plus laide des deux.

-I' les lâchent lousses dans 'a rue à c't'heure! Pis c'est nous autres qui sont pognés avec ça dans 'es pattes... Comme l'autre crisse de fou qui fait semblant d'se masturber quand on passe d'vant lui... Le quêteux aux cheveux longs qui vit dans 'a P'tite Pologne... Celui qui marche de long en large d'vant le Super C en criant tout seul... J'te l'dis va falloir qu'on traîne du poivre de Cayenne dans nos sacoches! C'est rendu qu'el' Super C est envahi par toutes sortes de fous! Qu'i' viennent déblayer tabarouette ou bi'n c'est moé qui va virer folle bonyousse d'la vie!

Les deux commères sortirent. Je passai à la caisse.

-C'est un pauvre monsieur, me dit la caissière, son histoire est peut-être vraie... Comment le savoir, hein? Moi je n'le connais pas... C'est ma deuxième journée d'travail ici... Alors... Bon... Qui suis-je pour juger?

-Vous avez bien fait... me contenté-je d'ajouter. Merci et bonne journée!

J'ajustai les écouteurs de mon lecteur Sensa pour poursuivre ma promenade en compagnie de vieux airs de Genesis.

Une voiture de police passa devant moi puis stoppa devant le pauvre homme à la tuque péruvienne.

Je n'ai jamais su le reste de l'histoire.

On n'en parle pas dans le journal ce matin.

Il fallait bien qu'on vous la rapporte, même si elle est incomplète.

Les journalistes ne sont pas toujours là pour faire leur travail convenablement.

Surtout dans mon quartier où les histoires insolites ne manquent pourtant pas.

C'est comme si nos journalistes ne s'intéressaient à rien d'autre qu'à monsieur l'maire, alias Kid Kodak.

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