mercredi 30 novembre 2016

À vot' bon coeur! (en reprise)

En reprise, un texte que j'ai fait paraître dans La Presse en décembre 2002. Ce texte s'était mérité le titre de Lettre de la semaine. Il avait aussi été publié dans Le Devoir ainsi que dans Le Nouvelliste.

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À vot' bon coeur!

Autrefois, on disait que les pauvres avaient besoin d’argent. De nos jours, on prétend qu’ils doivent se faire soigner. 

Autrefois, les pauvres n’étaient pas des démunis, voire des malades mentaux… Il y avait une certaine dignité dans le fait d’être pauvre, somme toute. Le folklore populaire ridiculisait ceux qui grattaient le sou de trop près. L’avarice de Séraphin Poudrier soulevait l’indignation générale de tout un chacun. 
  
La règle commune à tous, c’était de vivre sa misère honnêtement, sans chercher des noises à qui que ce soit. Plus d’une chaumière se dotaient d’un banc de quêteux, un endroit où le misérable pouvait passer une nuit bien au chaud avant que de repartir le lendemain pour affronter son lourd destin. Les gens donnaient aux vagabonds, sous la crainte d’être frappés du mauvais oeil. C’était un devoir que d’offrir le gîte et la nourriture au quêteux qui battait la semelle d’une paroisse à l’autre. 
  
Ce monde n’existe plus, quoi qu’il en soit. Il a cédé la place aux professionnels de la misère humaine. 
  
Autrefois, la charité était une relation entre deux personnes, celle qui souffre et celle qui apporte du secours. Aujourd’hui, la charité est bien ordonnée et elle se vit par procuration: deux dollars ici et là, pour nourrir la bureaucratie ou construire des maisons de fous pour les pauvres 
  
Prenez un numéro, les démunis… Tournez à droite, à gauche. Remplissez le formulaire A, B ou C. Vous souhaitez vous sortir de la misère? Passez dans le labyrinthe bureaucratique… Apprenez le nouveau catéchisme de votre agent d’aide socio-économique. Faites-vous rééduquer par quelques « gentils organisateurs » qui vous nourriront de paraphrases marxistes-léninistes dans l’attente de l’avenir radieux, lequel correspond au moment où ils auront enfin les pleins pouvoirs pour commettre leurs expériences de laboratoire social.... Laissez-les faire et il y aura bientôt huit personnes pour visser une ampoule et dix autres qui pédaleront pour l’alimenter en électricité… 
  
Assistez à des séances collectives d’éducation populaire ou bien suivez des formations adaptées au plus petit dénominateur commun... Visionnez la dernière production vidéo du ministère avec vos camarades d’infortune. Les comédiens vous expliquent, sur le ton de l’émission pour enfants Passe-Partout, que la recherche d’un emploi s’apparente à une chasse au trésor. Si vous vous tenez tranquilles pendant le visionnement, on vous donnera des friandises à la sortie. Pour le trésor, vous repasserez nous voir la semaine prochaine lors d’une nouvelle session d’intervention... 

Pauvres démunis! On leur bourre le crâne sans leur remplir les poches. 
  
Autrefois, les pauvres n’étaient pas riches. Aujourd’hui, les démunis sont traités comme des aliénés. Il leur faut des camps de réinsertion sociale, des camps de rééducation ou des goulags animés par des travailleurs sociaux qui doivent forcément véhiculer les valeurs inhérentes à la Grande Idée. 
  
Vous manquez d’argent? Cherchez votre Moi intérieur… 
  
Le temps des Fêtes est propice à la réflexion sur les valeurs humaines qui nous animent. Je crois, naïvement, que les pauvres ont besoin de pain et d’argent. Je propose de démolir nos goulags. Le Conseil du patronat devrait être d’accord avec ça... 
  
Laissons aux cent personnes les plus riches du pays les petites productions vidéo du ministère ainsi que le devoir de ne pas vivre en Séraphin Poudrier. Après tout, ils possèdent tout ce que les pauvres ont besoin: des bidous. Des bidous et pas de sermons, viande à chien! 
  
À vot’ bon coeur messieurs, dames…

 

   

Pour en finir avec le cynisme

Jean-Léon Gérôme, Diogène, 1860
Le mot cynisme et ses dérivés ont presque toujours une connotation péjorative chez ceux qui les emploient. On dit des gens qu'ils sont devenus cyniques face à la politique, à l'amour ou bien à ce qu'il reste de nos bonnes moeurs. On ne veut certes pas dire qu'ils sont devenus lucides en disant cela. On signifie simplement qu'ils sont aigris, méprisants et... cyniques.

Il y a probablement un peu de mépris dans le cynisme tel qu'il est apparu en Grèce il y a vingt-cinq siècles. C'était parmi un groupe restreint de philosophes anticonformistes qui passeraient pour des hippies, des punks ou même des chiens de nos jours. Bref, ils étaient des trouble-fête.

Cynique origine du mot κύων / kuôn qui signifie chien en grec ancien. Je ne m'empêtrerai pas dans une longue explication étymologique à ce sujet. Pour faire court, disons que les cyniques se comportaient comme des chiens au sens malpropre comme au sens figuré. Ils tenaient des propos mordants qui bousculaient tout ce qu'on tenait pour vrai par habitude ou mollesse d'esprit.

Le cynique le plus célèbre est certainement Diogène. On prétend qu'il vivait dans un tonneau ou bien une jarre. Un contenant, à tout le moins, qui était situé aux portes d'Athènes dans ce qu'il convient d'appeler un dépotoir.

Originaire de Sinope, Diogène aurait fabriqué de la fausse monnaie dans sa jeunesse avant que de tout balancer pour vivre à la bonne franquette, avec un drap troué autour du corps et rien d'autre dans les poches. On pourrait dire qu'il était devenu un itinérant. Il semble cependant qu'il ait écrit plusieurs traités. Aucun d'entre eux n'est parvenu jusqu'à nous. De gentils chrétiens ont brûlé la grande bibliothèque d'Alexandrie au quatrième siècle de notre ère. Il ne nous est donc resté que des bribes de la sagesse véhiculée par Diogène par l'entremise de Plutarque et d'autres commentateurs moins célèbres.

C'était sans aucun doute un original ce Diogène. On a l'impression qu'un coup de gueule n'attendait pas l'autre. Il défaisait tout ce que de ridicules tâcherons de la philosophie tentaient de construire à l'aide de théories ronflantes et de préjugés sociaux.

Diogène vivait à la même époque que Platon qui réunissait des foules qui ne devaient pas manquer de lui verser une obole pour bénéficier de sa soi-disant science.

Un jour, Platon aurait affirmé que l'homme était un animal bipède sans plumes.

Les jours suivants. on imagine tous ses disciples ravis par cette formule avec laquelle ils croyaient sans doute tenir un levier pour soulever le monde.

L'homme est un animal à deux pattes sans plumes: c'est frais, facile à comprendre et tellement vrai!

Or, cela vint aux oreilles de Diogène qui devait traîner dans ce coin-là. Lorsqu'il le sut, il se présenta tout bonnement devant Platon et ses disciples.

-J'ai trouvé l'homme de Platon! déclara Diogène. C'est un poulet sans plumes! ajouta-t-il en balançant un volatile déplumé devant l'assemblée médusée.

Vingt-cinq siècles plus tard, on en rit encore. Pourtant, on continue d'enseigner Platon à l'école. Si l'on avait recopié les traités de Diogène plus souvent, on n'en serait pas là.

Comme c'est le cas pour le bouddhisme zen et les autres philosophies orientales, le cynisme regorge d'anecdotes percutantes susceptibles de nous allumer. L'illumination n'atteindra pas tout un chacun puisqu'il est difficile de résister à la farce de l'habitude.

On prétend qu'Alexandre le Grand lui-même, celui qui a fondé la bibliothèque d'Alexandrie incendiée par des crétins, serait allé à la rencontre de Diogène pour bénéficier de sa sagesse. On suppose que le maître d'Alexandre, Aristote, lui aurait glissé un bon mot à propos de ce chien vagabond.

-Que puis-je faire pour toi? lui aurait-il demandé lorsqu'il alla le retrouver dans son dépotoir.

-Ôte-toi de mon soleil. Tu me fais de l'ombre, aurait répondu Diogène.

On dit aussi qu'il lui aurait signifier qu'il était plus libre que lui. 

-Si je me promène tout nu sur un champ de bataille, on ne songera même pas à me faire du mal et on me traitera, au pire, comme un chien errant. Tandis que toi, avec ton armure et ton épée, tu seras bientôt entouré de dizaines de guerriers prêts à t'égorger. C'est qui le cave, hein?

Diogène n'a pas tout à fait dit cela. Mettons que ça ressemblait à quelque chose du genre. 

Sa réputation de sagesse était sans doute un peu surfaite. Par contre, il arrivait qu'un conquérant comme Alexandre ou bien un pauvre type l'approche pour bénéficier de ses lumières.

Un jour, un jeune homme souhaita devenir le disciple de Diogène.

Diogène lui dit tout bonnement de s'accrocher un vieux poisson pourri dans le dos et de le suivre.

Le jeune homme s'accrocha une vieille carpe dans le dos et le suivit toute la journée sous le chaud soleil d'Athènes.

À la fin de la journée, écoeuré tant par l'odeur fétide du poisson pourri que par le silence de son maître, le disciple prit la décision de tout lâcher.

-Que fais-tu là? lui demanda Diogène.

-Je m'en vais! J'ai passé toute la journée à vous suivre avec un poisson pourri dans le dos et vous ne m'avez jamais accordé la moindre attention! Je n'ai rien appris! Nah!

-Comment ça tu n'as rien appris? Ce matin tu étais prêt à me suivre partout avec un poisson pourri accroché dans ton dos... Et maintenant que tu t'en vas, ne vois-tu pas que je viens de t'apprendre à devenir ton propre maître?

Et voilà le travail! L'histoire ne nous dit pas ce qu'il advint de ce disciple déçu. Peut-être se tourna-t-il vers Platon et ses poulets à deux pattes sans plumes. J'aime à croire qu'on ne la lui faisait pas deux fois. Par contre, je vois tellement de gens avec des poissons pourris accrochés dans leur dos autour de moi que je ne vois pas pourquoi le monde antique aurait été tellement différent du nôtre... On se promène avec une religion ou une idéologie politique pourrie dans le dos sans sourciller, sans s'offusquer de son odeur de putréfaction...

Le cynisme, à ce compte-là, ne me semble aucunement péjoratif.

C'est un satori, pour reprendre encore une fois la terminologie des bouddhistes zen, un appel à clarifier le monde et ses idées. 

Personne ne voudrait évidemment vivre dans un dépotoir pour se donner raison de penser que tout le monde a tort. Moi le premier. Je n'offre qu'un sourire en coin aux théories bidons qui bouleversent mes contemporains. J'éteins parfois mon anticonformisme par commodité, voire par lâcheté. Je fais humhum, haha, hunhun. J'acquiesce aux imbécillités courantes. Comme à peu près tout le monde, parce que nous ne sommes pas tout à fait des chiens, mais seulement des hommes avec toute la stupidité que cela suppose.

Cela ne m'empêche pas de trouver un peu grossier de traiter de cynique quelqu'un qui voit clair, même si le cynisme n'est pas une insulte en soi. Je ne pense pas que mes contemporains laissent entendre que les gens soient cyniques avec la politique, l'amour et la tarte aux pommes pour de bonnes raisons.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous avons la chance qu'un
chercheur de l'Université d'Ottawa se soit consacré à colliger tous les fragments touchant de près ou de loin au cynisme en tant que philosophie antique. Ce livre est un incontournable pour aller s'abreuver à la source vive du cynisme. Je vous le recommande. La notice complète est ici:

Léonce Paquet, Les Cyniques Grecs. Fragments et témoignages (Collection « philosophica », 4). Presses de l'Université d'Ottawa, 1988


mardi 29 novembre 2016

Maudite cigarette!

Ils s'étaient rencontrés dans un bar miteux du centre-ville. Elle rongeait ses ongles. Il clignait des yeux. Les deux avaient des tics nerveux.

Elle n'était pas très jolie. Elle était plutôt maigre avec le visage poreux. Elle avait souffert d'acné juvénile. Ça paraissait puisque ça lui avait laissé des trous sur les joues. Ses cheveux étaient gras. Ils auraient pu être châtains s'ils avaient été propres. Elle sentait la cigarette.

Il n'était guère mieux. Il était petit et bedonnant. Ses yeux sortaient de ses orbites sous ses épais sourcils broussailleux. Il avait un air constamment offusqué, comme si le monde entier lui en voulait. D'autres auraient dit qu'il était arrogant. Ses cheveux étaient blonds et clairsemés, secs et cassants. Il sentait lui aussi la cigarette.

Elle s'appelait Maude.

Il s'appelait Guillaume.

Elle lui avait demandé du feu, puis une cigarette après avoir fumé la dernière qu'elle avait sur elle.

Il s'était empressé de l'allumer sans cesser pour autant de cligner des yeux. Puis de lui offrir l'une des trois dernières cigarettes qu'il lui restait pour passer la semaine.

Quelques minutes plus tard, Guillaume était dans le lit de Maude.

Ils firent l'amour plutôt maladroitement. Elle suçait mal. Ses dents accrochaient sur le gland. Il léchait comme un dégoûté. Maude ne se sentait pas fraîche.

Il n'y eut même pas de pénétration cette fois-là.

Ils avaient surtout envie de fumer une cigarette.

Ils partagèrent donc ensemble la dernière cigarette du paquet de Guillaume.

Puis ils constatèrent qu'ils étaient tous les deux paumés et qu'ils n'avaient rien à fumer.

C'est ainsi que débuta leur histoire d'amour.

Ils s'aimèrent comme deux naufragés peuvent s'aimer malgré eux, du simple fait qu'ils ont tous les deux échoué sur le même rivage inhospitalier.

-Est-ce que t'as du papier à rouler? demanda Guillaume.

-Oui, répondit Maude.

Cinq minutes plus tard, ils avaient au moins cinq cigarettes roulées à même le vieux tabac extirpé des mégots.

Cette débrouillardise avait plu à Maude. Enfin quelqu'un qui prenait soin d'elle...

Lorsque survint le matin, les deux tourtereaux avaient les nerfs tendus.

Guillaume avait l'envie de faire l'amour mais Maude ne voulait rien savoir. Son bandage de pisse semblait lui envoyer les signaux du rut.

-J'ai juste trop envie de fumer... s'insurgea Maude. Calvaire! J'ai pu rien à fumer... Pis on est le 22... Le chèque rentre juste vendredi la semaine prochaine...

-Faut juste penser à autre chose... se prononça timidement Guillaume en tentant de la caresser entre les cuisses.

-Lâche-moé! J'veux fumer calice! Chienne de vie sale!

Guillaume fixa le mur avec ses gros yeux bizarres.

Maude pleura un peu.

Une petite fille entra dans la chambre. C'était Évelyne. La fille de Maude. Son ex-conjoint, Raymond, venait de la rapporter. Ils avaient la garde partagée, bien entendu.

-C'est qui lui? demanda Évelyne en pointant Guillaume.

-Lui? C'est mon petit ami...

-Comment tu t'appelles? demanda la fillette sur un ton dubitatif.

-Guillaume... répondit-il sur un ton déprimé.

-Maude! Maude! cria Raymond. T'es-tu là?

-Oui Raymond... J'm'en viens! hurla-t-elle. C'est Raymond, confia-t-elle à Guillaume. C'est mon ex. Un hostie d'trou d'cul... I' m'a trompé avec une guédaille... ma chum de fille... une hostie de grosse ventouse!

Guillaume ne bougea pas du lit. Évelyne lui lança un regard méchant du genre "qu'est-ce que tu fous ici sale con?"

Maude et Raymond s'engueulèrent dans le salon quelques minutes. Puis ce fut le silence.

Évelyne jouait avec sa Barbie sans se préoccuper de l'intrus qui était dans le lit de sa mère.

Guillaume n'osait pas sortir de sous les draps parce qu'il était tout nu.

Évelyne revint dans la chambre avec un paquet de cigarettes flambant neuves.

-Des Du Maurier... souffla Guillaume avec ravissement. Où c'est qu't'as trouvé ça?

-J'viens d'les voler à mon ex dans son char... Tiens, prends-en une...

Guillaume ne se fit pas prier. Maude non plus. Ils sentirent le calme et la béatitude les gagner.

-Est bonne en crisse la première cigarette de la journée... I' manque juste un bon café... Ça va mal parce que j'en n'ai plus... Ciboire de vie sale!

-J'ai un de mes chums qui vit au coin de ta rue... réfléchit Guillaume. J'vais aller l'voir pour y emprunter du café.

Le chum en question n'aimait pas la face de Guillaume mais lui fit tout de même don d'un peu de café et de lait en souvenir du temps où ils jouaient ensemble au badminton.

-J'va's te le r'mettre la semaine prochaine quand j'va's r'cevoir mon chèque... Promis man...

-Tu m'as dit ça aussi la dernière fois que j't'ai prêté vingt piastres...

-J'va's te r'mettre ton vingt piastres aussi, crains pas!

-En fait tu m'dois cent cinquante piastres...

-Ah oui? Ah oui!!! Ok! Ok! M'en souviens... Pas d'trouble j'te l'remets la semaine prochaine fis-toé su' moé!

Guillaume revint chez Maude comme s'ils ramenaient de l'or.

Ils fumèrent des cigarettes, burent du café frais et se décidèrent même à faire l'amour avec la sensation qu'ils allaient se transformer en citrouille avant la fin de la journée.

Quelques mois plus tard, Maude accouchait d'un deuxième enfant et Guillaume emménageait avec elle sous la promesse de se trouver une job, de s'acheter un char, une maison et plusieurs cartoons de cigarettes.

Rien de tout cela ne se produisit.

Maude, n'en pouvant plus de sa vie poche, se trouva du travail au casse-croûte Chez Rastapopoulos.

Guillaume s'occupa de leur fils et de sa belle-fille en allant constamment chez Rastapopoulos où travaillait Maude pour lui mendier des cigarettes.

-Va falloir que tu t'trouves une job Guillaume... J'peux pas t'faire vivre... On a deux enfants...

-Ma crisse de chienne toé! lui disait Guillaume. Tu t'penses pour une princesse aux petits pois pis t'es lette comme un cul! Compte-toé chanceuse que j'te baise! R'garde-toé ta face de pizza saint-chrême! On dirait que t'as la gale!

-Lette? T'es-tu r'gardé hostie d'avorton? T'as l'air d'une mouche à marde! Tu bandes croche pis juste quand t'es saoul! Y'a pas une femme qui voudrait d'toé hostie d'mongol!

-Ta yeule! Donne-moé des cigarettes! J'me peux p'u calice! T'attends-tu que j'pète les plombs? T'aimes ça m'faire souffrir ma crisse de chienne?

Elle lui donna des cigarettes puis elle revint à son travail.

-Va falloi que ti chum arrite de veni ti voi su ton shift, lui avait dit son patron, un Grec pas très conciliant avec les chicanes de ménage et les fumeux de cigarette. T'es icitte pou tavailler tabarnak d'eucharisto de coulaille! Li c'est rien qu'un maudit trou d'cul di fucking prick di calice di mangeux di marde!

Quelques jours plus tard, le Grec la congédiait parce que Guillaume n'avait pas voulu comprendre que le Grec ne voulait pas lui voir la face.

-Alli fumer ailleurs calice tabarnak! trancha le Grec. Maudite cigarette: ça poue!

Ce soir-là, Maude griffa le visage de Guillaume qui la bouscula dans l'escalier. Puis ce fut un concert de sacres, de cris, de hurlements et de pleurs.

Tous les deux n'avaient plus rien à fumer. Il ne leur restait que la misère la plus noire qui soit. Comme d'habitude...

Les voisins en eurent assez de leur énième chicane et décidèrent enfin d'appeler les flics.

La police intervint et on constata que les enfants avaient des ecchymoses un peu partout. Guillaume les battait chaque fois qu'il n'avait rien à fumer. Et Maude n'était guère plus patiente. Elle plantait ses ongles, pourtant rongées jusqu'à l'os, dans la chair de sa chair. Bref, c'était tous deux des hosties de trous du cul.

Les enfants furent confiés à la Direction de la Protection de la Jeunesse.

Le linge de ces pauvres enfants sentait la cigarette.

Guillaume fut libéré au bout de quarante-huit heures sous la promesse de comparaître.

Maude fut hébergé dans une maison de femmes.

Heureusement que les deux avaient du papier à rouler.

Ils pouvaient toujours bien se rouler de quoi fumer avec les mégots qu'ils extirpaient des cendriers.

lundi 28 novembre 2016

Ni dieu ni maître ni dictateur


Face à certains de mes camarades dits de gauche je me sens comme l'anarchiste de Docteur Jivago incarné par Klaus Kinski dans le chef d'oeuvre de David Lean...

Le rêve de Maude Gariépy

Le rêve de Maude Gariépy, Acrylique 8 X 10 po.
 Je me suis concentré hier sur ce que je sais faire de mieux. L'art me sauve d'avoir à me justifier sur ma vision sans doute idyllique des droits de l'homme. Je serais un marginal sous tous les régimes politiques. Je vois toujours la petite bête noire dans le concert des réjouissances administratives. Je me sens étranger à tous les cultes religieux et autres dogmes paramilitaires. Je ne suis peut-être pas d'ici. Je serai peut-être toujours ailleurs...

Je me tourne toujours vers l'art pour m'éloigner de toutes les désillusions. J'entretiens mon idéalisme en dessinant des gros nez. Je reviens toujours à cette bulle dans laquelle je me réfugie depuis ma tendre enfance pour m'isoler des tracasseries humaines. Que le monde soit plat, cruel ou infâme, je finis par m'en battre les couilles. Je prends mes pinceaux, mes crayons et mes instruments de musique. Je décroche ma lune. Et j'aime simplement l'humanité telle que je me la représente, souriante, avec des gros nez.

Je travaille en ce moment sur plusieurs tableaux à la fois. Je m'amuse à peindre un type qui déambule tout fin seul dans une nuit d'hiver. Je peins aussi une patinoire extérieure avec tout plein de personnages. Je m'essaie aussi à de nouveaux thèmes sur des petites toiles que je barbouille de couleurs pour en tirer quelque chose qui relève presque du test psychanalytique. Je répands mes pigments au hasard puis j'en extirpe des éléments figuratifs.

Les deux petites toiles ci-contre témoignent de cette manie.

L'illuminé, Acrylique sur toile 6 X 8 po.
Je m'empresse de les partager avec vous.

Il vous est possible de les voir de vos yeux vus les samedis et dimanches après-midis, de 13h00 à 17h00, à mon atelier-galerie d'art sis au 448 de la rue Niverville à Trois-Rivières. Vous pouvez aussi me rejoindre via mon courriel pour venir me visiter.

bouchard.gaetan@gmail.com

dimanche 27 novembre 2016

Che Guevara,Castro et les concombres marinés

On ne fera jamais un beau concombre frais avec un concombre qui a mariné longtemps dans le vinaigre. Cette évidence m'a été confiée par un alcoolique tout aussi notoire qu'anonyme.

Cette boutade peut aussi s'appliquer à bon nombre de situations.

Prenons, par exemple, les révolutions russe et cubaine. Les Russes comme les Cubains avaient longtemps mariné dans l'autarcie et ne trouvèrent pas le moyen de se régénérer dans quelque chose qui aurait pu s'appeler la liberté. Ils ont rejeté le tsar et Batista le mafieux mais n'ont jamais réussi à jeter le vinaigre ni le pot dans lesquels ils marinaient.

Il y a bien sûr des circonstances tout autant atténuantes qu'exténuantes.

Les grandes puissances autour de ces pays ne voulaient pas d'un monde moins fielleux. Les banquiers allemands ont financé Lénine pour l'aider dans sa contre-révolution totalitaire. Et Cuba s'est enfermée dans la logique implacable d'un combat à mener contre la mafia américaine qui n'a jamais permis que ses colonies sud-américaines se mettent à l'heure des services sociaux gratuits financés par la propriété collective des ressources naturelles.

On n'a qu'à regarder ce que les Américains ont cautionné au Chili: un général d'opérette qui a liquidé un président démocratiquement élu ainsi que tous ceux qui revendiquaient quelque chose comme la justice sociale.

Les Cubains se sont plus ou moins volontairement isolés des États-Unis pour se préserver de sa pègre. Ils se sont jetés dans les bras de l'ours soviétique parce qu'il n'y avait aucune autre possibilité à la Allende de changer quoi que ce soit. La révolution violente, Saturne qui dévore ses propres enfants, était la seule alternative pour contrer la mafia. Et je ne dis pas ça parce que je m'en satisfais. Je comprends cette évidence que les Cubains marinaient dans le jus et que la voie des réformes dites démocratiques leur était bloquée par l'impérialisme américain. Impérialisme qui est très loin de n'être qu'une vue de l'esprit.

J'ai déjà été marxiste. Pas longtemps. Peut-être une vingtaine de mois. Je militais pour une organisation trotskiste, donc pour des hérétiques au sein même du mouvement communiste. Hérétiques qui reprochaient aux staliniens leur dérive bureaucratique et autocratique, sans pour autant remettre en question la dictature du prolétariat... C'était comme Iznogoud qui rêverait d'être Staline à la place de Staline...

En tant que marxiste, je me suis fait inculquer qu'il fallait des cadres révolutionnaires pour représenter la conscience des intérêts du peuple. Le peuple ne pouvait pas savoir ce qui était bien pour lui-même parce qu'il était contaminé par la pensée capitaliste. On n'apprenait donc pas le mythe rousseauiste selon lequel l'homme naît bon mais que la société le corrompt. C'était plutôt le contraire. L'homme est fondamentalement stupide et il faut qu'il soit gouverné par une secte de gens éclairés pour qu'il devienne bon à quelque chose...

J'ai fini par rompre avec ces idées. J'étais trop poète et j'oserais dire trop sensible pour m'abandonner à ces pensées tout autant cyniques que sinistres.

Je ne crois pas que l'homme soit si bon qu'il ne le semble. Mais je l'accepte tel qu'il est. Je considère que je fais partie du lot. Je ne tiens pas à m'imposer par la force. Pour moi, aussi con que je puisse l'être, seuls les moyens justifient les fins que l'on poursuit. Ce n'est pas parce qu'on casse des oeufs que l'on fait des omelettes.

Je n'embarquerai donc pas dans la guérilla des zélotes qui oublient qu'ils sont des concombres marinés.

Quand on me vante Che Guevara, je me rappelle surtout qu'il a tué beaucoup plus de ses amis communistes que de ses ennemis dits de classe sociale. Il ne fallait pas le bousculer sur ses saintes conceptions du dogme marxiste-léniniste sous peine de recevoir une balle dans la tête. Avec des amis semblable, le bon peuple n'avait pas besoin d'ennemis. Idem pour les staliniens et autres marxistes plus ou moins maoïstes. Les premiers qui tombent sont ceux qui forment leurs rangs. Pour un capitaliste éliminé on compte des milliers de communistes au goulag. Les cadres révolutionnaires sont sans pitié envers les leurs et plutôt compréhensifs envers l'ennemi qui peut leur apprendre des trucs pour mater des révoltes ou des révolutions, comment humer un bon vin et où commander son champagne.

Je n'ai jamais abandonné ma foi en la justice sociale et suis en faveur de la nationalisation de larges pans de notre économie. Par contre, je ne crois pas en une élite de petits soldats éclairés, en une meute de révolutionnaires conscients des besoins de ces bougres d'idiots que nous sommes. Je ne crois pas au socialisme à grands coups de pied dans le cul.

Je n'ai pas d'exemple précis à vous donner. Certains humains m'ont influencé plus que d'autres. D'abord des gens qui ne verront jamais leur nom écrit en grosses lettres dans le dictionnaire des noms propres. Des gens qui, par leurs actions, se montrent dignes d'admiration. Charles, Arthur, Maude, Fabienne et je ne sais trop qui.

Je pourrais bien sûr vous nommer Tolstoï, Martin Luther King et d'autres gus un peu trop religieux à mon goût dans lesquels je me reconnais un tant soit peu. Je pourrais même vous chanter des airs de John Lennon. Mais à quoi bon?

Je ne suis qu'un pauvre con. Comme vous. J'ai faim et soif de justice, d'amour, de liberté.

Les exemples de concombres marinés que l'on m'offre ne me satisfont pas.

J'indispose autant les conservateurs que les marxistes. Peut-être parce qu'ils se rejoignent quelque part. Quoi de mieux qu'un monde où les travailleurs doivent fermer leur gueule et produire pour leurs nobles dirigeants? Quoi de mieux que des esclaves soumis à l'avant-garde éclairée de l'humanité...

On me reprochera ma désinvolture face à l'impérialisme américain.

D'autres me fesseront sur la tête pour être un pelleteur de nuages, un idéaliste bourgeois ou je ne sais trop quoi. Le goulag m'attend un jour ou l'autre pour avoir douter de nos nobles saigneurs...

Je m'en torche.

Le monde meilleur dans lequel je crois doit vivre ici et maintenant dans mes actes comme dans mes pensées.

L'autoritarisme, qu'il soit brun ou rouge, ne mène à rien.

Mener un peuple à grands coups de pieds dans le cul ne fera jamais partie de ma palette de couleurs.

vendredi 25 novembre 2016

Tout seul, timide et pro-vie

C'était le gars le plus seul au monde que l'on puisse concevoir.

C'était un gars plutôt grand et rondelet aux épaules voûtées. Il marchait en regardant le bout de ses souliers. Il semblait éviter tout le monde. Il faisait pitié. Et il s'appelait Réginald.

Rien en lui n'était conforme à son temps. Tout en lui transpirait la fadeur. Réginald portait des vêtements bleu pâle d'une autre époque. Il avait de grosses lunettes de broche démodées. Sa coupe de cheveux semblait tout droit sortie d'un magazine des années '50, avec la raie sur le côté et pas un poil qui dépasse. Bref, il avait l'air d'un curé ce gars-là. Ce n'en était pourtant pas un. Par contre, il fréquentait l'église assidûment, plus que la moyenne des ours. Il s'y rendait à tous les matins pour prier Dieu sait quoi.

Évidemment, Réginald était puceau. Jamais un ami n'était entré dans sa vie et encore moins une demoiselle. Il vivait dans une maison de chambres sordide, couchait sur un vieux matelas trop mou et lavait son linge à la buanderie du quartier. Il recevait un chèque d'assistance sociale tous les mois avec lequel il se débrouillait pour survivre chichement. Il était souvent malade et n'allait jamais se faire soigner de crainte qu'on ne l'oblige à se mettre tout nu devant tout le monde. Bref, il tirait le diable par la queue.

Réginald était pratiquement incapable de parler à qui que ce soit. Il bafouillait devant quiconque. C'était pire si le quiconque était une femme. Alors là, il devenait rouge comme une tomate et aurait souhaité s'enfuir aussi loin que possible plutôt que de soutenir cette bouche, cette poitrine et ces yeux féminins. Toute femme lui semblait carrément démoniaque. Comme s'il risquait de subir tous les tourments de l'enfer. Comme s'il perdait tous ses moyens. Comme s'il bandait trop dur dans ses shorts qui ne tenaient plus que par un restant d'élastique.

On le voyait aussi de temps à autres au Cercle de philosophie pour une raison qui m'échappe. C'était bien sa seule activité sociale connue en-dehors de l'église. Et s'il y allait, c'était pour bafouiller toujours les mêmes paroles sur un combat qu'il menait contre l'avortement.

-L'avortement est un... L'avortement est un crime... On devrait... On devrait interdire l'avortement... Oui... C'est s'attaquer à... s'attaquer à la vie. L'avortement est un péché mortel...

Tout un chacun le regardait avec un mélange de mépris et de pitié. Qui était cet hurluberlu solitaire, ce puceau notoire qui s'incarnait en ange exterminateur de l'avortement? Pourquoi cette lubie? Que connaissait-il des femmes et de leur corps, lui?

À l'église, Réginald n'avait qu'un seul sujet de conversation avec le curé qu'il croisait au confessionnal. En dehors de quelques péchés véniels, dont de fréquentes séances de masturbation sur des photos de femmes en brassière tirées des dépliants publicitaires de Wal-Mart, on ne lui connaissait que ce champ d'intérêt: lutter contre l'avortement...

Le curé l'encourageait à défendre la sainte doctrine catholique, évidemment, mais doutait néanmoins de gagner le combat avec ce soldat d'infortune. Réginald était tellement ostracisé qu'on finissait par trouver des vertus à l'avortement du simple fait de l'entendre bafouiller contre.

On le voyait aussi à la bibliothèque municipale. Il empruntait uniquement des livres dans la section de la spiritualité de stricte observance catholique. Il connaissait en détail la vie de Saint-Laurent et de Sainte-Cunégonde. Il savait répéter des tas de prières stupides par coeur. Il aurait bien voulu devenir curé mais ses dettes d'études étaient trop importantes pour qu'on l'accepte dans l'organisation. Il devait payer ses dettes avant que de soumettre sa candidature. C'est du moins ce qu'il en avait déduit.

-Sans la foi, je ne serais rien, n'en prétendait-il pas moins.

Réginald n'était pourtant rien, malgré sa foi. Rien qu'un abruti à tout le moins.

On se doute qu'un tel hurluberlu constituait une bombe à retardement.

On ne peut pas vivre pendant des années sans amis, sans amour et sans travail. La chaudière finit toujours par exploser.

Ce qui devait donc arriver arriva.

Cela s'est produit au début du mois de novembre.

Notre solitaire avait entendu dire qu'il se pratiquait des avortements non loin de chez-lui, dans une clinique du centre-ville pour laquelle il n'existait aucune publicité explicite. On n'y voyait pas d'affiche du genre "Avortement gratuit!" ou bien "Ici on vous délivre d'une grossesse non désirée!". C'était une clinique qui pratiquait des avortements de manière plus ou moins clandestine, bien qu'elle était reconnue par l'État. Par cet État qui s'était mis au service de Satan, bien entendu. État contrôlé par des athées plus ou moins communistes qui reniaient la foi de nos pères et de nos mères...

-Je... je... ne laisserai pas faire ça... Je... je... dois me battre! L'avenir de notre nation catholique et française en dépend!!!

Il s'était donc posté devant l'entrée de la clinique avec une pancarte sur laquelle il avait écrit tout simplement "Pro-Vie".

Jusque-là, rien qui n'aurait pu étonner quoi que ce soit. On trouve des fous partout en Amérique du Nord, même s'ils se font rares au Québec en raison de notre intelligence collective proverbiale.

Par contre, ce n'était pas tant la pancarte Pro-Vie qui jurait dans le décor. Non, c'était lui. Imaginez-vous donc que Réginald était nu comme un ver. On pouvait voir son petit asticot violacé au-travers d'une forêt de poils gras et hirsutes. Réginald avait gardé ses bottes et ses bas, par commodité. Ainsi que ses lunettes, pour au moins y voir quelque chose. Il jurait dans le décor et n'était vraiment pas beau à voir!

Évidemment, la police eut tôt fait de l'appréhender pour grossière indécence.

Il ne se laissa pas faire facilement, bien entendu.

Réginald hurla de toutes ses forces, lui dont le ton de sa voix était généralement inaudible.

-WAAA! RAAA! GRAAA! AAAAH!

-Calmez-vous monsieur... Cachez votre ti-pénis! Il y a des femmes et des enfants dans la rue... lui dit l'agent Tétreault, un gars qui en avait vu d'autres, mais qui comprenait en son for intérieur qu'il avait vraiment affaire à un pauvre type.

-WAAA! RAAA! À BAS L'AVORTEMENT!!!

On lui fit une clé de bras. Réginald perdit pied et ses lunettes se cassèrent sur le trottoir. Les policiers n'eurent d'autre choix que de procéder à son arrestation pour avoir troublé l'ordre public. Il fut cependant décidé de le conduire au département de psychiatrie de l'hôpital plutôt que de l'envoyer au bullpen de la prison provinciale.

-C'est pas un cas de prison ça, sacrament, jura l'agent Tétreault. C'est un hostie d'fucké! Calice! I' s'pointe la bizoune à l'air au centre-ville! Pis l'pire c'est qui est pas équipé pour s'la montrer comme ça devant tout l'monde! C'est un christ de fou, c'est sûr!

Personne ne sut ce qu'on lui fit faire et prendre avant que de retrouver sa liberté. On suppose qu'on lui fit avaler des pilules et réciter des prières.

Réginald passa tout de même en cour. Il n'avait plus le droit de se tenir à proximité de la clinique où se pratiquaient des avortements.

Il pouvait cependant se rendre encore à l'église et à la bibliothèque.

On revit donc sa silhouette de raté aux épaules voûtées sur les trottoirs de notre belle ville.

Ses cheveux avaient un peu blanchis.

Et ses lunettes tenaient maintenant ensemble avec du ruban adhésif.


jeudi 24 novembre 2016

Parce que du Robbob, c'est du Robbob



Les gens qui ont la prétention d'être objectifs me semblent justement des objets. Leur souci d'avoir raison sur tout finirait même par me faire préférer le mensonge. Le mensonge, aussi funeste soit-il, a encore quelque chose d'humain. En ceci qu'il est subjectif.

Cela dit, je ne vais pas disserter sur l'objectivité. D'autres le feront mieux que moi avec ce zeste de propos soporifiques sous lesquels ils dissimuleront leur subjectivité.

Je ne peux d'autant pas être objectif que je vais vous parler de l'un de mes amis musiciens, Robert
Rebselj, alias Robbob, qui vient de sortir un nouveau CD intitulée tout bonnement Horny-thologie.

Sa sortie remonte au mois d'avril, je le sais bien, mais je ne l'ai reçu que tout récemment par la poste, d'où mon retard pour cette recension.

Robbob n'en est pas à ses premières armes. Cela fait un bon bout de temps qu'il se cherche et se retrouve dans l'univers de la musique.

Ce chic type, qui a aussi été par deux fois mon colocataire, est originaire de Winnipeg. Ses parents sont Serbes, Croates, catholiques, orthodoxes et un peu juifs.

Je l'ai connu au début des années '90 à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il s'était inscrit à la faculté de philosophie après avoir passé une session d'été dans le programme d'immersion en langue française. Son français était d'abord hasardeux. Le chaise, le table et la chien, si vous voyez ce que je veux dire. Puis il a rencontré la famille Tousignant, une famille de trippeux qui lui ont enseigné les rudiments du joual ainsi que l'art de faire la fête. Quelques mois ont suffi pour que Robert, alias Robbob, devienne un Tousignant d'adoption. Au bout d'un an, son vocabulaire s'était enrichi de tabarnaks, de calvaires et de maudits frappe-à-bord...

Le type réservé du tout début est devenu nettement plus excentrique. Il y avait et il y a encore quelque chose du dandy chez Robbob. Ses couvre-chefs sont toujours pour le moins particuliers: tuque du Journal de Montréal, fez, sombrero, tuque péruvienne et autres objets insolites. Rien d'étonnant à ce qu'il se déguise en lutteur pour livrer ses performances lorsqu'il joue en public les pièces de son dernier album. C'est du Robbob tout craché. On ne s'attend jamais à autre chose qu'à de l'excentricité de sa part.

J'ai longtemps jammé avec lui. Au début, il jouait surtout du tamtam. Il avait tâté de la batterie un tant soit peu. Puis il est passé progressivement à la planche à laver. C'était à l'époque où je commençais à produire mes propres chansons en m'accompagnant à la guitare et à l'harmonica. Nous avions eu l'idée de former un band grâce au soutien de Mark Cavanaugh, le seul qui soit capable d'accorder une guitare dans notre groupe à l'époque.

Le destin nous a séparés. Puis nous nous sommes retrouvés après un petit moment, jammant aussi souvent que possible à propos de tout et de rien, mélangeant Oscar Thiffault, Paul Brunelle et Lee Scratch Perry.

Robbob avait probablement l'envie de composer lui aussi des chansons. Le tamtam et la planche à laver n'étaient pas l'accompagnement idéal pour donner libre cours à son lyrisme. Il a donc appris le ukulélé qui est devenu, au fil des ans, son instrument de prédilection. Il a aussi ajouté le gazou. Il peut maintenant s'afficher en tant qu'homme-orchestre.

Interprète de métier, Robbob traduit spontanément de l'anglais au français et vice versa. Il est devenu un virtuose du ukulélé. Il a repris contact avec la musique des années '20 et s'est sans doute un peu inspiré de Stompin' Tom Connors s'il avait fait un voyage psychédélique.

Après avoir joué un temps avec le groupe montréalais Lake of Stew, Robbob a déménagé à Limoilou où il est tombé sur une bande de joyeux lurons qui l'accompagnent désormais dans ses prestations. Ses chansons profitent de la présence des choristes enjouées Roxane Chabot, Marie Dubois et Julie Morneau. Samuel Poirier les accompagne à la contrebasse. D'autres musiciens se joignent à l'ensemble Limoilou libre orchestra pour donner un peu plus de panache aux chansons déjantées de Robbob.

Toutes ces chansons se passent d'explications.

Je sais qu'elles originent de Double Stuff Oreo Cookies. C'était le titre d'une chanson que me jouait mon voisin quand j'habitais dans un taudis de Montréal. Je soupçonne que cette chanson aura inspiré la carrière de Robbob mais ne m'avancerai pas plus à ce sujet. Robbob m'en parle trop souvent pour qu'il n'y ait pas une incidence. Il va probablement l'ajouter à son répertoire un jour ou l'autre. En mémoire de cet inconnu que nous avons perdu dans la brume du temps.

Subjectivement parlant, je dois aussi vous dire que Robbob est l'ami de tout le monde. Tu le rencontres une seule fois dans ta vie et il reviendra te visiter jusqu'à ta mort. Parce qu'il a cette qualité rare d'être un ami fidèle pour tout le monde, moi y inclus. Je ne suis pas comme lui, peu s'en faut, mais je n'ai pas à l'imiter. Le monde est bien fait somme toute. Robbob le dandy parcourt le monde pour répandre sa bonne humeur, au risque de vexer les gens d'un naturel froid, sérieux et sinistre.

-Pourquoi porte-t-il un sombrero mexicain l'hiver? m'avait-on demandé un jour.

-Et pourquoi n'en porterait-il pas un? fut ma réponse.

-C'est le sombrero de Ti-Oui Tousignant! m'avait répondu fièrement Robbob.

-J'aurais jamais dû lui donner mon sombrero! ironisa Ti-Oui Tousignant...

Évidemment, je préfère me promener avec une tuque l'hiver.

Mais pas Robbob. Si ce n'était pas un sombrero, ce serait une botte de pêcheur qu'il porterait sur sa tête. Ou bien une boîte de carton.

N'essayez pas de le changer. Ce monde si drabe a besoin d'artistes qui sortent de l'ordinaire.

C'en est un, sans l'ombre d'un doute.

Qui plus est, c'est un type nettement plus intelligent et cultivé qu'on ne pourrait le croire à prime abord lorsqu'on le voit déguisé en lutteur masqué. Sous ces oripeaux de saltimbanque se cache un grand intellectuel qui ne fait pas de cas de cette masse colossale de livres en toutes langues qu'il a digérés. Il fait le niais sans vraiment en être un. Il joue au clown tout en étant sérieux.

C'est du Robbob tout craché. Un personnage unique qui combine en lui Arthur Cravan, Buster Keaton et peut-être même Bobby Lapointe, pour ne nommer que ceux-là.

Attendez-vous à n'importe quoi de ce drôle d'oiseau.

Je suis sûr qu'il n'a pas fini de nous étonner et de détonner dans nos paysages.

Parce que du Robbob, c'est du Robbob...



mercredi 23 novembre 2016

Jambons et gens bons

Il est difficile de se mettre dans les souliers de celui qui souffre. Il me vient à l'esprit qu'il l'est sans doute tout autant que de rentrer dans la tête de celui qui prend plaisir à faire souffrir.

La compassion, aussi bête que cela puisse sembler, me semble venir d'un élan naturel du coeur. Le hic c'est qu'il s'en trouve bien quelques-uns pour péter ma bulle. D'aucuns diront que c'est le résultat d'un conditionnement. L'homme naît mauvais et toutes les règles de la communauté seraient donc un déni de l'homme tel qu'il devrait être. La bonté, la générosité, l'altruisme et tout le reste pourraient bien passer pour de la morale d'esclaves aux yeux des disciples de la méchanceté. Si Nietzsche l'a dit, soyons durs et frappons sur tous les faibles. On ne s'en portera que mieux. Ce sera, comme qui dirait, la mise en oeuvre de la sélection naturelle. 

Je ne m'évertuerai pas à couper les cheveux en quatre pour saisir la nature de ce que j'appelle peut-être à tort le bien.

On pourrait facilement enfermer le monde dans un concept pour justifier n'importe quoi. Ne le fait-on pas tous les jours, où que l'on se trouve sur le globe? Tout contempteur de l'humanité trouve sa justification dans des colonnes de chiffres et des indices de performance.

Le fait est que la bonté se porte mal.

Nous vivons à une époque où les méchants ne craignent même plus d'afficher ouvertement leur mépris des règles élémentaires de l'hospitalité, de la tolérance, voire de la solidarité. Ils se camouflaient auparavant sous des maximes qui leur conféraient l'impression d'être pragmatiques sans pour autant remettre en question ouvertement les principes qu'ils violaient allègrement. Ils faisaient à tout le moins semblant de ne pas être des psychopathes asociaux. Ils avaient un vernis de civilisation.

Au nom d'une remise en question de la rectitude politique, certains finissent par prendre un malin plaisir à s'afficher dans toute leur immonde mesquinerie.

La retenue est du passé. On sait qu'on peut se mériter des honneurs au sein de la communauté en étant un fou furieux sans vergogne. On peut se vanter d'agresser des Indiens, des Noirs, des nains, des infirmes, des femmes et j'en passe. Le petit baveux du temps de la polyvalente est mis à l'honneur. Il peut désormais briller comme une nouvelle étoile que l'on nous impose pour nous faire perdre le Nord.

Les radios-poubelles et autres journaux jaunes déversent leur fiel sur la Cité qui finit par se dire qu'on n'est pas un homme quand on est trop sensible et trop affable. Rien ne vaut une bonne claque sur la gueule, un bon rot, une insulte piquante, un mépris assumé de tout ce qui n'est pas whiter than white, beau et riche.

On encourage tout ce qui contrevient au savoir-vivre le plus élémentaire. Les gens qui aident les vieilles à traverser la rue sont certainement des gérontophiles pervers. Et ceux qui lavent des patients à l'hôpital ne sont pas allés à l'école assez longtemps et c'est tout ce qu'ils méritent... Tout est détourné au profit de ce qu'il y a de plus bas, de plus mesquin et de plus sale. Exit la bonté. Tout le monde est sale lorsqu'un salaud s'exprime.

Le politicien traditionnel profite de cet air du temps pour se montrer sous son jour le plus crapuleux avec l'assentiment des canailles. Toute forme d'indignation est perçue comme étant la complainte du vaincu.  Tous les torts reviennent à ceux qui ne réussissent pas à sortir du lot sans craindre d'utiliser les moyens les plus vils qui soient. La fortune sourit aux audacieux et encore plus aux scélérats.

Il faudrait donc être fermes, fiers d'être sans-coeur et sans-dessein. 

Pourtant, un autre monde existe sous les oripeaux crottés de notre civilisation qui sombre peu à peu dans ce qu'il convient d'appeler sa décadence.

Il existe encore de bonnes personnes qui n'attendent pas de recevoir d'honneurs, de rémunérations ou de médailles pour agir dignement.

Il existe encore des gens doux, affables et aimables. Qu'on les tourne ou pas au ridicule, ils continueront de faire ce qui se doit. Quelque chose de plus fort que l'ambition les anime. Quelque chose comme le besoin de ne pas devenir des hyènes, des chacals ou des rats. Quelque chose comme une conception supérieure de la destinée humaine. Quelque chose comme la bonté.

Il est sans doute regrettable que l'époque ne tourne pas pour eux.

Il est attristant de constater "que l'on traite les braves de fous et les poètes de nigauds" pour reprendre la fameuse chanson Le diable de Jacques Brel.

Évidemment, je ne perdrai pas mon temps à me demander comment l'on peut marcher dans les souliers d'un abruti dénué de compassion.

J'éviterai de croiser son chemin, autant que faire se peut.

Et je ferai, tout naturellement, mon devoir d'humain.

Même si je ne gagne jamais mes élections.

Même si je suis un perdant aux yeux de ceux qui croient réussir en nous faisant tous échouer.

J'aime mieux faire partie des gens bons que des jambons.





mardi 22 novembre 2016

Des photos pour une première neige tombée sur Trois-Rivières

Cathédrale de Trois-Rivières
La première neige de la saison est tombée hier. J'en ai profité pour prendre quelques clichés ce matin. Rien de professionnel. Seulement des petits riens photographiés à la bonne franquette. Je me permets de les partager avec vous pour vous titiller l'oeil.

Parc Champlain à Trois-Rivières (Ma photo préférée aujourd'hui...)

Parc des Patriotes (anciennement Parc Victoria) à Trois-Rivières

Notre fameux Dairy Queen au rond-point dit de la Couronne, à Trois-Rivières

Parc Pie-XII, Trois-Rivières

Parc Pie-XII, Trois-Rivières

Parc Pie-XII, Trois-Rivières

Nouveau tableau: La rouquine

J'ai fait ce portrait sorti tout droit de ma tête. Mettons que ça s'intitule La rouquine. Elle porte du vert, évidemment, puisque les roux savent que le vert les met en valeur. C'est à peu près tout ce que j'ai à dire à ce sujet. Donc, c'est La rouquine, un tableau à l'acrylique sur une toile de format 16 X 28 pouces si je ne m'abuse.

lundi 21 novembre 2016

Par-delà le labyrinthe

Le monde est un labyrinthe. Nous y affrontons autant d'échecs que de culs-de-sac. Il est difficile de trouver la sortie sans le fil d'Ariane ou sans les ailes de Dédale. Nous nous cognons à toutes les parois en nous nourrissant de la sensation d'être confronté à des faits. Les faits, dans ce labyrinthe, sont d'en être prisonnier.

Alexis Klimov, mon vieux prof de philo me l'aura enseigné maintes fois. Il revenait souvent au mythe d'Icare pour justifier la quête métaphysique de tout homme digne de ce nom. Puisque toutes les voies terrestres sont bloquées, il reste seulement celle du Ciel. J'avais beau me révolter à l'époque en signifiant qu'il fallait détruire le labyrinthe et égorger le Minotaure, comme Thésée l'avait fait, que je vois bien que rien n'a changé autour de moi. Tout s'est dégradé, dont mon propre corps qui ne bénéficie plus de sa fougue d'antan malgré les illusions que je me fais. Le labyrinthe est toujours là. Le Minotaure tire sa force des milliers de victimes qu'il dévore ça et là. Le monde va mal. Et moi, stupide comme je le suis, je ne songe plus qu'à me fabriquer des ailes.

D'aucuns confondront la spiritualité avec l'adhésion à une religion institutionnalisée. D'autres, moins nombreux peut-être, se jetteront dans la musique, les arts et les lettres. Je fais probablement partie de cette dernière catégorie. Je ne sais rien de rien de Dieu, des anges et des formules magiques. Je me contente de contempler, de prier l'indicible, de goûter le mystère sans chercher à l'assimiler à une doctrine facile à répéter.

En fin de semaine, j'ai profité de mes pinceaux et de mes pigments pour décrocher de tous ces discours monomaniaques qui me révulsent. Je me suis permis de rêver en esquissant des sourires, des maisons, des arbres et des montagnes. Tout le reste m'a semblé d'autant plus vain que j'ai trouvé ma réponse à des questions qui mènent traditionnellement à des culs-de-sac.

Je n'ai pas de doctrine à proférer pour tout un chacun.

J'ai bien sûr quelques valeurs humanistes de base. Quelques prédispositions à favoriser l'émergence d'une société juste qui ne saurait être construite que par-dessus les ruines du labyrinthe. Je suis plutôt socialiste, libertaire, dégoûté autant par le capitalisme que par toutes les formes d'autoritarisme mesquin.

Je ne pèse pas lourd dans la balance.

Pas plus lourd que vous. 

Pourtant, j'ai l'impression que j'ai acquis au fil des ans le pouvoir de me faire pousser des ailes. Je ne vole pas très haut. Pas plus haut qu'un coq dans sa basse-cour. Mais je me dis qu'à force de m'y essayer je finirai bien par passer par-dessus la clôture. Je ne serai pas condamné éternellement à vivre au sein de ce labyrinthe. 

Quand je peins ou que je joue de la musique, c'est comme si j'ouvrais une brèche dans le labyrinthe. C'est comme si j'étais enfin ailleurs.

Bref, vous voyez bien que je suis un maudit rêveur. Pour ne pas dire un pelleteur de nuages.



dimanche 20 novembre 2016

Vivement la première neige

Rien n'est plus pacifiant pour l'âme d'un Québécois digne de ce nom que la chute d'une première neige.

Il se trouvera bien sûr des lots de braillards pour s'en plaindre. Surtout parmi les automobilistes, la pire engeance qui soit. Ils respireraient de l'oxygène en conserve plutôt que de sacrifier leur véhicule. Ils perçoivent la neige, la pluie et tout ce qui fait l'infinie variété de ce monde comme un obstacle à leur prison sur quatre roues.

-Ah moé la neige... diront-ils. Ah moé pelleter... Ah moé le froid... Ah moé j'irais dans l'Sud toutte l'hiver...

Je leur botterais le cul... J'aimerais bien qu'ils y aillent tout l'hiver, dans le Sud, plutôt que de constamment les entendre gâcher mon plaisir. Remarquez que je m'éloigne spontanément de ces conversations oiseuses sur les automobiles. Je n'en ai rien à foutre et m'en sens bien plus heureux ainsi. Dès que j'entends un braillard, je fuis. Je raccourcis la conversation. Je les laisse à leurs jérémiades de tâcherons superficiels.

J'attends avec ferveur la première puis la deuxième et énième neige. Plus il y en aura mieux ce sera.
Toute cette blancheur maquillera les défauts de la ville mise à nue par cet automne défoliant. Du coup, on aura l'impression qu'il fait plus clair. On n'aura plus la sensation de vivre dans la grisaille et la monotonie de ce repos saisonnier de la vie végétale.

Les enfants vont se faire des boules de neige. Ils iront peut-être même patiner. Les adultes qui ne sont pas devenus tout à fait des vieux cons se mettront de la partie. Puis on sortira encore plus de lumières. Des lumières de Noël. Des lumières pour célébrer Mithra, Kitché Manitou, Râ, Jésus ou bien tout simplement le solstice d'hiver. Quand la neige tombera sur la ville endormie, ce sera comme si elle était contenue dans une boule de verre étincelante. Comme si la ville devenait magique, féerique et profondément surhumaine. Les bons sentiments renaîtront pour le temps des Fêtes. On aura la main sur le coeur. On donnera aux mendiants sans rechigner comme d'habitude. Nous vivrons de cette illusion que nous sommes tous des frères et des soeurs...

Évidemment, je pourrai sortir mes vieux airs de Noël. Mahalia Jackson, Frank Sinatra et Pierre Lalonde s'il le faut. Je n'en éprouverai aucune honte ni fausse déprime pour épater la galerie. Je vis selon les saisons, moi, et n'ai pas cette nostalgie de vivre là où je ne suis pas en ce moment même. Il n'y a pas d'autre ailleurs que dans ma tête. Je viens de là et c'est toujours là que je retourne. Et ma tête me dit que la neige c'est pacifiant, comme White Christmas de Bing Crosby, au risque de passer pour un vieux mononcle fini.

Quelle tombe cette première neige! J'ai cette fringale du temps des Fêtes, ce besoin de voir mon pays qui ne peut être que l'hiver.


samedi 19 novembre 2016

Trois autres petits tableaux

La vieille, Acrylique sur toile, 6 X 8 po.

Pompon jaune, Acrylique sur toile, 4 X 6 po.

Aucun arbre en vue, Acrylique sur toile, 4 X 6 po.

Une belle grosse tranche de bois

Une belle grosse tranche...
On m'a donné une belle grosse tranche d'orme la semaine dernière. Je l'ai limée puis sablée à la main. Ça m'a pris deux bonnes heures. J'avais des crampes aux mains ainsi que la satisfaction de ne pas m'être tourné les pouces. Le bois est devenu lisse comme une peau de fesse. J'ai nettoyé ma tranche puis je l'ai observée sous tous les angles pour  lui trouver quelque chose d'inspirant. Je me suis finalement servi des lignes de l'arbre pour y peindre un oeil puis un visage. Le résultat final c'est cette œuvre que j'ai intitulée Hector La Tuque.
Hector La Tuque, Acrylique sur bois, 14 po. de diamètre

Par ailleurs, j'en ai profité pour vernir deux petits tableaux sans prétentions. Ils sont issus de taches de peinture. L'un s'intitule Le Père Noël est une rinçure. L'autre: Le monstre à la langue verte.

Je vous laisse finalement sur une photo de mon atelier. Je suis en pleine action. Pardonnez-moi ce désordre créatif.
Vue de mon atelier en état de désordre créatif


Le Père Noël est une rinçure

Le monstre à langue verte

Oeuvre en chantier

Une autre oeuvre en chantier

vendredi 18 novembre 2016

Mon nouveau billet pour le Hufftington Post

 http://quebec.huffingtonpost.ca/../../gaetan-bouchard/399-dollars-par-mois-et-rien-a-perdre_b_13039952.html

Monsieur Pépin, les racistes et moi

Je ne suis pas raciste. Cela me semble aussi naturel d'être altruiste que de respirer.

L'ami de feu mon père, feu Irenée Pépin, m'aura servi de phare pour faire de moi un bon gars sans une ombre de racisme.

Monsieur Pépin était un vétéran de la Seconde guerre mondiale. Il avait combattu en Italie, en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne. Il était peu bavard sur ce qui ne pouvait pas se raconter facilement. On comprenait que la guerre était une vilaine chose. Il avait vu mourir ses camarades. Il avait vu mourir tout court devrais-je dire. 

C'était l'homme le plus accueillant du monde. Monsieur Pépin se portait toujours au devant de tous ceux qui venaient d'ailleurs en leur parlant dans les deux langues officielles. Il était revenu du front avec un sens tout particulier de la fraternité humaine. Russe, Allemand, Vietnamien ou Cambodgien, Il semblait que tout le monde pouvait devenir son ami. Bref, au lieu d'avoir peur de l'autre, il allait au-devant pour lui offrir son sourire et ses farces légendaires.

J'ai connu un bon lot d'étrangers au cours de ma vie. D'étrangers qui sont passés dans mon quartier entre autres. Et tous avaient un bon mot pour Monsieur Pépin. Il était pour eux ce gentil monsieur qui parlait l'anglais avec un drôle d'accent où se mêlaient des expressions britanniques des années quarante. Le bonhomme qui parlait à tout le monde dans le quartier, dont ceux-là mêmes avec qui personne n'osait parler.

Je ne veux pas dire que je vaux mieux qu'un autre mais je n'ai pas cette peur de l'étranger que je constate trop souvent chez plusieurs de mes compatriotes. Je ne crains pas les Russes, les Asiatiques, les Noirs ou les Maghrébins. Ni les homosexuels, les transsexuels ou les disciples de Raël. J'ai poussé l'audace aussi loin que de les fréquenter et de m'en faire des amis, au grand désespoir parfois de certains de mes proches qui se demandaient ce que je faisais parmi des Juifs, des Arabes ou des extra-terrestres... J'ai appris à mieux connaître le Maroc, le Rwanda, la Bosnie, la Russie, la Colombie, Haïti et j'en passe à force de discuter avec des amis provenant de tous les horizons. Je crois même avoir contribué à sauver l'honneur de ma patrie en me comportant comme un gentleman, comme l'était d'ailleurs Monsieur Pépin.

Ma curiosité aura toujours été plus forte que ma peur, sans doute parce que j'ai eu l'exemple de Monsieur Pépin, un exemple qui aura fini par contaminer tout mon quartier. 

Quand je vois des gens qui se mettent à s'indigner de la présence d'étrangers sur notre sol, je ne les comprends pas. Je me sens plus près de ces étrangers. Je leur en veux presque de leur faire sentir qu'ils sont de trop. Les lois de l'hospitalité n'ont rien à voir là-dedans. Ce ne sont pas les lois qui me font penser ainsi. Ce sont mes propres valeurs qui, malheureusement, s'enferment mal dans un discours nationaleux et xénophobe.

Je passe plusieurs minutes par jour à défendre les étrangers et autres humiliés de notre société. Je me sentirai toujours solidaire de ceux qu'on voudrait écarter de la fête pour une raison qui m'échappe.

Ceux qui étaient choisis les derniers au ballon-chasseur à l'école sont souvent devenus mes amis. C'était parfois des rêveurs, des intellectuels, des types qui ne réussissaient pas à se fondre au cadre commun. 

J'en ai toujours voulu à ce cadre commun de pratiquer l'exclusion envers les gens différents sur la base de pas grand chose.

Ça me prenait aux tripes de voir qu'Untel ne faisait pas partie du groupe parce que le groupe avait décidé qu'il n'était pas assez ceci ou bien qu'il était trop cela. J'ai moi-même fini par me méfier des groupes. Mon groupe est devenu celui qui est constitué de tous les déracinés du monde.

Cela dit, le racisme n'est pas une vue de l'esprit.

C'est une phénomène encore très présent. Il y a de l'espoir que notre communauté soit toujours plus ouverte et plus accueillante. Mais il y a encore des poches de résistance. 

On entend encore des employeurs dire à mots couverts qu'ils n'engageraient pas de Noirs ou d'Arabes. Ce sont généralement de bons Québécois avec des noms qui résonnent comme des souches pourries de la Normandie. Ils se donnent des raisons pour justifier leur racisme. Les Noirs sont paresseux. Les Arabes sont menteurs. Toutes sortes de conneries qui en disent plus long sur eux que sur les communautés qu'ils dénigrent. Vrai comme je m'appelle Bouchard, mon nom de famille ne doit pas servir de caution à ces abrutis. Le Nous dont ils parlent en me faisant des clins d'oeil complices me donnent l'envie de dégueuler.

Cela m'insulte d'entendre ça quand ça vient à mes oreilles.

J'ai honte de faire partie de mon peuple quand je vois des gens mesquins tomber à bras raccourcis sur ceux qui sont choisis en dernier au ballon-chasseur...

-Sont pas comme nous autres! Suivent pas nos coutumes! Sont lents! Sont critiqueux! Sont pleins de coquerelles! Y'aiment pas le Père Noël!

Quand j'entends ça, vraiment, je sens que ne suis pas comme nous autres.

Je me sens Rwandais, Haïtien ou Bosniaque.

Et pas vraiment Québécois.

Évidemment, je finis par faire la part des choses.

Je sais bien que tous les Québécois ne sont pas des gros cons racistes. Je sais bien que tous les Haïtiens ne sont pas des anges. Mais ce qui vaut pour l'un vaut pour l'autre. Il y a du bon et du mauvais dans tous les groupes, pour ne pas dire dans tous les coeurs...

Ce serait mentir, cependant, d'ignorer ce fort contingent de xénophobes actifs qui nuisent à l'intégration des immigrants tout comme à l'image de notre communauté. Il y a des limites à entretenir le malaise parmi nos invités.

Ce n'est pas tout le monde, je dois en convenir, qui ont la classe de feu Irenée Pépin, ce vétéran de la Seconde guerre mondiale qui était en paix avec tout le monde.


mardi 15 novembre 2016

Marlon et son gamin

Je ne sais pas le nom de ce gars-là. Je me souviens de l'avoir croisé dans des circonstances plus ou moins nébuleuses. C'est un gars de taille moyenne qui pourrait ressembler à Marlon Brando s'il était né dans le quartier Sainte-Cécile, un des hauts-lieux de la misère à Trois-Rivières. Un Marlon Brando légèrement balafré avec des yeux de poisson mort, comme je vous l'aurais décrit à prime abord.

Pour tout dire, j'avais eu une histoire d'un soir avec sa mère. Ne me demandez pas où ni comment. Je suis assez sobre sur ces aspects de ma vie qui ne vous regarde pas. J'ai dû les croiser ensuite tous les deux, par hasard, et sans rallonger inutilement le discours.

Puis j'ai revu Marlon tout fin seul, une fois ou deux, dans le quartier Sainte-Cécile où j'habitais à l'époque.

J'ai cru comprendre que Marlon était un jeune dur à cuire qui vendait de la coke et n'hésitait pas à menacer les mauvais payeurs à la pointe du couteau. Il ne m'a cherché des noises. Je n'achetais pas sa camelote. Et puis il ne devait pas savoir ce qui s'était passé entre moi et sa mère. Ce qui est très bien ainsi. Ce n'était seulement qu'une aventure qui remonte au mois à une vingtaine d'années. On ne va pas en faire tout un fromage.

J'ai su que Marlon s'était fait prendre il y a une dizaine d'années. Il avait fracassé la tête d'un gars avec un bâton de baseball. Du coup, il avait été retiré de la circulation et envoyé dans une cage au zoo.

Je l'ai revu souvent au cours des dernières semaines sans qu'il ne me reconnaisse. Je ne suis rien dans sa vie et en suis fort heureux ainsi.

Cela dit, Marlon a changé. Il n'a plus ces yeux de poisson mort. Il pousse tous les jours un marmot dans un carrosse pour aller le porter à la garderie. Cette garderie est sur mon chemin. Ce qui explique pourquoi je les croise matin et soir.

Marlon rigole avec son gamin qui l'appelle tendrement papa. Je devine à son sourire que Marlon s'est rangé et qu'il ne trempe plus dans de sales combines. Son espérance, pour ne pas dire sa raison de vivre, est dans ce carrosse.

-Papa, papa! Fais-moi tourner dans le carrosse dans le tas de feuilles! Oua!

Et voilà que Marlon, cigarette aux commissures des lèvres, le fait tourner dans les feuilles qui tourbillonnent tout autour d'eux.

-Ha! Ha! Ha! s'esclaffe l'enfant.

-Tu vas voir c'que tu vas voir ti-gars! réplique son père en se faisant suer derrière le carrosse pour amuser la chair de sa chair. Hi-ha!

Les feuilles s'envolent de part et d'autre du carrosse. Marlon avance, recule, fonce, revient, tourne, zigzague. L'enfant est euphorique.

-Encore papa! Encore!

Et ça recommence de plus belle.

Puis voilà qu'il le laisse à la garderie après lui avoir embrassé la tête.

Difficile de ne pas penser que Marlon a changé.

Marlon semble se porter mieux, c'est ce que j'en déduis.

Je puis me tromper.

Mais j'aime bien croire qu'il y a au moins quelque chose qui se porte mieux dans ce monde.

Ne serait-ce que la vie de Marlon, l'ex-vendeur de coke de Sainte-Cécile.