mardi 13 septembre 2016

Le type chic qui n'était pas un chic type

Au lieu de parler de moi, je vais vous raconter l'histoire vraie d'un type chic qui n'était pas nécessairement un chic type. Ce n'est pas que je lui en veuille de ne pas être moi. Mais ce n'est pas de moi que j'ai envie de vous parler. Ce qui justifie tous mes artifices littéraires, mes surenchères et tout ce qui pourrait ressembler à tort à de la médisance. Il faut dire que j'éprouve beaucoup de pitié pour les imbéciles, malgré ma propension naturelle à me gausser de l'imbécillité.

Tout le monde sait que même un âne se rebelle parfois. Il a beau être un âne qu'il finit par refuser d'avancer même si son propriétaire lui explique que c'est dans l'ordre naturel des choses qu'on le fouette pour qu'il avance.

Dostoïevski, et combien d'autres auteurs trop émotifs, surtout des Russes, ne comprenaient pas que l'on puisse battre un cheval à mort. Ils poussaient l'outrecuidance jusqu'à percevoir ce cheval désobéissant comme une représentation des tourments qui s'abattent aussi sur l'humanité.

Cela dit, mon type chic, qui n'était pas un chic type, ne voulait rien entendre à cela. Les ânes étaient des ânes parce qu'on pouvait justement les battre à mort.

Il vivait pour lui-même, sûr qu'il avait raison sur tout puisqu'il s'auto-glorifiait en toutes circonstances de ne pas être un âne battu, un pauvre en loques ou bien un militant contre les centrales nucléaires.

La société, surtout la bonne société, lui donnait raison de ne pas être ce qui n'avait pas d'avoirs.

-Je connais des millionnaires! Je suis rusé comme un renard! On ne me la fait pas à moi! disait-il aussi souvent que possible en coupant la parole à ses interlocuteurs auxquels il reprochait de manquer d'attention.

-Vous n'écoutez pas assez! Vous parlez sans écouter!

Cela voulait dire, en somme, qu'on ne l'écoutait pas, lui. 

Ce type chic s'appelait Flavien Prévost. Il était toujours tiré à quatre épingles, le teint orange et le cheveu lisse. Il possédait une entreprise de portes et châssis, un restaurant, une imprimerie, une boutique de trucs importés et des immeubles. Tout lui réussissait parce qu'il avait des espions postés partout pour lui rapporter qu'Untel vendrait tout à rabais parce qu'il était pris à la gorge, croulant sous les dettes et autres obligations de la vie extraconjugale. Flavien achetait tout pour une bouchée de pain et revendait tout dix fois plus cher.

Tout allait bien pour lui jusqu'au jour où il contracta le lupus.

Le lupus est un ulcère rongeant, une maladie tuberculeuse de la peau.

Flavien qui aimait bien paraître parut de plus en plus mal avec ce lupus qui le défigurait.

L'argent ne peut malheureusement pas tout acheter. Et Flavien, si coquet, si fier de son apparence, s'enferma progressivement chez-lui, refusant de participer à ses activités sociales habituelles de crainte qu'on ne le juge moins beau qu'il ne l'était.

Comme il ne fréquentait plus les cénacles et autres officines du pouvoir, il finit par s'isoler.

Ses affaires déclinèrent.

Il perdit son restaurant. Puis ses immeubles.

Il se fit arnaquer par toutes sortes de types chics qui n'étaient pas des chics types.

Ses actifs fondirent tant et si bien qu'un beau matin Flavien constata qu'il était complètement ruiné en plus d'être devenu laid.

C'est alors qu'on le surprit en train de se promener tout nu dans les rues de la ville en criant ceci:

-Maudite saucisse! Ah! Si je t'attrape!!!

C'était sans queue ni tête cette histoire de saucisse.

Des policiers l'emmenèrent au poste pour ensuite le transférer à l'hôpital.

Tel un âne, il refusa d'avancer, de bouger, de dire quoi que ce soit.

Au lieu de le battre, on lui injecta toutes sortes de machins dans les veines jusqu'à ce qu'il dise quelque chose comme:

-Cocorico! Le rôti est froid!!!

Cela ne voulait rien dire, bien sûr.

On continua donc de lui injecter toutes sortes de sérums et de produits nettoyants.

Quand on le fit sortir de l'hôpital, en prétendant qu'il était guéri, Flavien se retrouva avec rien devant lui.

Paradoxalement, il devint plus humain en étant toujours plus barjo. 

Alors qu'il se croyait autrefois le roi du monde, il se voyait maintenant comme un naufragé ordinaire du capitalisme. Il parlait avec des itinérants et des vieilles édentées. Il passait ses journées à nourrir des pigeons dans les parcs tout en contemplant les nuages.

Flavien n'était plus le même.

Oui, il était devenu un trou du cul.

La morale de cette histoire? À vous de la trouver si vous en avez la force.

Quant à moi, j'ai suffisamment travaillé pour aujourd'hui.


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