mercredi 29 juin 2016

À la guerre on ne tire pas sur les ambulances

Mon défunt père avait coutume de dire qu'à la guerre on ne tire pas sur les ambulances. Cette maxime résonne encore en moi comme un coup de tonnerre pour me rappeler mes origines. J'y trouve une sagesse plus que proverbiale. J'y ressens une vérité qui n'est pas toujours vraie. Bref, c'est toute la noblesse d'âme de mon paternel qui me porte à la répéter inlassablement chaque fois que les circonstances m'y obligent.

Mon père avait connu la misère noire au sein d'une famille nombreuse de la vallée de la Matapédia. Il savait ce que signifiait la pauvreté avec son lot quotidien d'humiliations et d'injustices. Dans sa famille, on allait à l'école à tour de rôle l'hiver. Un jour, c'était untel qui pouvait mettre les bottes de caoutchouc. Le lendemain, c'était l'autre. Et ainsi de suite.

Comme il avait vécu la misère de près, il savait la pardonner mieux que quiconque. Il s'acharnait à la soulager, à sa manière, en s'engageant pleinement dans les oeuvres sociales de son église qu'il ne manquait pas de critiquer pour ses mesquineries ponctuelles.

-Les maudites bottines de feutre qui vont à la messe pour regarder les pauvres de haut! Si Jésus revenait, i' t'leur botterait l'cul!

Sa foi avait quelque chose de profondément enragée. Ce qui finissait par lui créer des ennuis au sein de cette église où il faisait office de marguillier et de responsable pour la Société Saint-Vincent-de-Paul.

-C'est pas vrai que j'vais me mettre à fouiller dans les frigidaires pour voir si ceux qui veulent de l'aide s'achètent de la bière! J'vais leur donner un bon sans jouer à la fouine! Ils s'achèteront d'la bière mais les enfants vont pouvoir manger parce que le bon alimentaire d'la Saint-Vincent-de-Paul s'échange seulement contre de la nourriture!

Il appliquait sa maxime selon laquelle on ne tire pas sur les ambulances à la guerre...

Ce qui fait que les pauvres le respectaient et le considéraient comme un bon monsieur. Un bon monsieur un peu taciturne qui émettait des bons alimentaires sans réclamer son lot d'explications de la part des mendiants. Il faisait ça au grand dam des dames patronnesses qui pratiquaient une charité feinte, méfiante et méprisante.

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Lorsque j'entends des gens infâmes pleurnicher sur le sort de la classe moyenne qui doit payer pour les assistés sociaux, je ne peux que revenir à ce que disait mon père.

Pourquoi tirer sur les ambulances qui transportent les blessés? Pourquoi fesser sur ceux qui sont au plancher?

Je comprends que les travailleurs de la classe moyenne doivent contribuer pour les riches qui ne contribuent pas. Je comprends qu'ils doivent mettre la main dans leurs poches autant pour les riches qui les volent que pour les pauvres qui ont faim. Pourtant, il me semble que les probabilités sont plus grandes pour une personne de la classe moyenne de devenir assistée sociale que de devenir riche. Cela me semble tellement évident que je ne comprends pas par quelle magie on puisse en arriver à penser autrement.

Il faudrait donc enquêter sur la pauvreté des solliciteurs d'aide sociale, regarder dans leur frigo, analyser le fond de leurs poches. On laissera filer en douce ceux qui font en sorte que l'on paie le double, le triple et parfois même le centuple pour les travaux publics. On mettra le feu aux ambulances. On fessera sur les blessés. Et pendant ce temps, la guerre économique menée par des gens toujours bien propres et bien parfumés continuera de nous fournir toujours plus de victimes qui serviront de boucs émissaires.

Les chroniqueurs des médias traditionnels emboîteront le pas pour critiquer ces pauvres qui boivent de la bière et fument des cigarettes au lieu de s'acheter un condo, un yacht ou bien une île dans le Pacifique.

***

J'oubliais de dire que mon père était un Rouge. C'est-à-dire un libéral. Il avait tellement détesté Duplessis et l'Union Nationale qu'il ne pouvait que devenir l'un de ces anonymes artisans de la Révolution dite tranquille. Il avait cru au programme de Jean Lesage et de son équipe du tonnerre: l'éducation gratuite du primaire jusqu'à l'université, la nationalisation de l'électricité, l'assurance-maladie et tout le reste. Il avait cru que l'on pouvait devenir maîtres chez-nous.

J'imagine quelle serait sa déception d'assister aujourd'hui à la contre-révolution du gouvernement libéral du Québec, de ces faux Rouges travestis en Bleus qui tirent sur les ambulances et multiplient les blessés du capitalisme sauvage.

Peut-être qu'il comprendrait pourquoi je suis rouge de colère.

Pourquoi je m'insurge, tout comme lui, que l'on s'en prenne aux plus faibles pour ensuite vendre nos richesses naturelles pour trois fois rien.

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