lundi 30 mai 2016

Religion, politique et poisson pourri

Ordralphabétix, dessin de Uderzo
-Y'a deux choses dont i' faut jamais parler dans les bars: la religion pis la politique...

C'est ce que m'avait dit l'un de mes amis, un chrétien marginal grand consommateur de psychotropes devant l'Éternel. À prime abord, je me disais qu'il s'accrochait à cette maxime pour ne pas gâcher son trip. C'était sans savoir, à cette époque, que sa réflexion allait me poursuivre encore longtemps, même en étant aussi sobre qu'une tête d'enterrement.

J'accroche à toutes sortes de niaiseries, dictons, proverbes ou affirmations gratuites. J'ai le malheur d'avoir une mémoire d'éléphant et de retenir des paroles ou des événements pour une raison qui m'échappe souvent à prime abord.

Pourquoi cette simple phrase proférée par un drogué dans un bar résonne encore en moi comme une vérité qui transcende bien des traités de stoïciens et autres saltimbanques de la philosophie? Honnêtement, je n'en sais rien. J'imagine que c'est comme ça pour tout le monde. À moins que je ne sois qu'un indécrottable conteur qui retient toutes sortes de racontars pour broder ses bobards.

Il m'arrive, bien entendu, de parler de religion et de politique. J'ai cependant le malheur de ne pratiquer aucune religion en plus de n'être membre d'aucun parti. Ce qui ne peut que me nuire face à tous les exaltés.

Je perçois la religion et la politique comme ce poisson pourri que le philosophe Diogène avait accroché dans le dos d'un type qui aspirait à devenir son disciple. Le prosélyte l'avait suivi toute une journée sous le chaud soleil d'Athènes. Le poisson puait toujours un peu plus à chaque heure. Tant et si bien qu'il finit par quitter Diogène après s'être enlevé le poisson pourri qui pendait dans son dos.

-Que fais-tu là? lui demanda Diogène.

-Je te quitte! J'ai passé toute la journée avec un poisson pourri dans le dos sans que tu ne m'adresses la parole une seule fois! Tu ne m'as rien appris! Je ne veux plus être ton disciple! Nah!

-Tu prétends que je ne t'ai rien appris aujourd'hui? rétorqua Diogène. Ce matin, tu étais prêt à te promener avec un poisson pourri dans le dos et à me suivre n'importe où comme le dernier des abrutis. Et maintenant que tu me quittes, ne vois-tu pas que je t'ai tout appris puisque tu es devenu ton propre maître?

Évidemment, je résume un tant soit peu cette anecdote que j'ai lue dans Les Cyniques grecs, fragments et témoignages. Ces textes ont été rassemblés par Léonce Paquet. L'ouvrage a été publié en 1988 aux Presses de l'Université d'Ottawa. Cela se lit aussi bien qu'un recueil d'histoires drôles. Ce qui a peut-être nui au cynisme. On n'aime pas ce qui ne fait pas sérieux. Et encore moins ce qui semble avoir inspiré les anarchistes au fil des siècles.

Diogène a probablement parlé de temps à autres de religion ou de politique. C'était sans doute pour s'en moquer si je me fie à son style de pensée. Il est dommage par ailleurs que la bibliothèque d'Alexandrie fusse incendiée par des chrétiens qui ne voulaient pas s'embarrasser de science et de philosophie païennes. Diogène avait écrit quelques livres, bien qu'il ait vécu dans une amphore abandonnée dans le dépotoir d'Athènes. On ne saura jamais ce qu'il a couché sur le parchemin. Il ne nous est resté de lui que des anecdotes et des histoires drôles.

Ce qui est certain, tout compte fait, c'est que l'on ne doit jamais parler de religion ou de politique en présence d'ivrognes ou bien d'imbéciles fanatiques.

Les uns comme les autres ne vous pardonneront jamais de vous en prendre à leurs lubies.

Ils ont trouvé la vérité et n'entendent pas errer dans le monde des idées comme des électrons libres loin de leur noyau.

Ils ont besoin d'avoir une explication facile pour toute chose, quitte à se promener soir et matin avec un poisson pourri dans le dos.

Ne tentez jamais de leur enlever ce poisson pourri, même si ses exhalaisons vous démangent les narines.

Ils pourraient vous étriper pour aussi peu.

J'en ai souvent fait l'expérience.

Et je n'ose même pas dire avec qui et en quelles circonstances.

S'ils ont été capables d'incendier la bibliothèque d'Alexandrie, ils seraient bien capables de me conduire moi-même au bûcher pour cause d'impiété ou crime de doublepensée.

En écrivant ces lignes, je sais bien que je m'expose à être suspecté d'intelligence avec un ennemi tout aussi imaginaire que puisse l'être un dieu.

J'en prends le risque.

De toutes façons, je ne me tiens plus dans les bars.

Je préfère parler de religion, de politique ou de poisson pourri quand ça me plaît.

1 commentaire:

  1. Se faire étriper pour ses idées ou pour sa façon de vivre est assez inquiétant - Certains fous sont totalement dangereux -
    On dit : pour vivre heureux vivons caché -
    Pourtant il faut bien ouvrir sa gueule -
    Quant au concept d ' Orwell , je ne sais pas ...
    Je crois qu ' il s ' agit d ' une fourberie de ceux qui la mettent en place -
    Ceux qui s ' y font attraper comme mouches dans la confiture le veulent peut-être bien ..

    RépondreEffacer