mercredi 30 décembre 2015

Louis se dégraisse le salami dans le drapeau du Québec

Louis ne vit que pour une seule cause qui transcende toutes les autres. Ce célibataire endurci a endossé une idée fixe. Il s'est fabriqué un personnage de chevalier de l'indépendance qui ne vit que par et pour cette noble cause.

Le logement de Louis est recouvert de messages politiques tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. On y voit des tas de drapeaux du Québec, des drapeaux des patriotes, des photos de René Lévesque, des slogans pour le Oui, des pancartes pour le Oui, des Oui à loi 101, des Oui à Camille Laurin, des ceintures fléchées, des fleurs de lys. À première vue, ses voisins pensent qu'il souffre de maladie mentale et, honnêtement, je crois bien qu'ils ne se trompent pas.

À deux pas de chez Louis, Jeffrey souffre des mêmes symptômes. Son logement est aussi bariolé de drapeaux canadiens, de feuilles d'érable rouges, de castors, de Canada Number One. Cependant, il faut avouer qu'au Québec on rencontre généralement dix Louis pour un Jeffrey. Le nationalisme canadien, déjà victorieux, n'est pas aussi populaire chez les malades mentaux.

Je vous avouerai, à mon grand dam, que je suis favorable à l'indépendance du Québec, tout en y mettant plusieurs bémols qui me font passer pour un traître aux yeux de Louis. Louis qui passe pour un fou pour à peu près tout le monde autour de lui...

Il m'est toujours difficile de m'afficher en tant que souverainiste quand je vois ce que l'indépendantisme a pu faire de Louis. Je me console en me disant qu'il y a Jeffrey. Cependant, cela ne m'affecte pas autant. Le nationalisme canadien est encore plus folklorique.

Je ne suis pas nationaliste. Les démonstrations identitaires me sont rébarbatives d'autant plus que ma génétique est complexe. Je suis d'origine africaine, européenne et anishnabée. L'histoire me semble bien plus un prétexte pour haïr que pour s'aimer les uns les autres. Je me dis, naïvement, qu'on peut concevoir un art de vivre ensemble ici et maintenant quelle que soit notre origine. Et si je soutiens l'idée d'indépendance, je ne suis pas nécessairement éloigné du multiculturalisme, tout en étant franchement républicain et laïc.

Je n'en veux pas aux immigrés et aux anglophones de voter Non ou bien de voter libéral. Il y a des francophones qui votent ainsi et c'est leur droit le plus strict. On n'est pas un citoyen seulement quand on vote du bon bord... Au lieu de traquer les traîtres et les vendus parmi le peuple, je tiens plutôt à me concentrer sur la lutte contre la corruption, l'injustice sociale, l'intolérance, le sexisme et le racisme. Que vous en soyez ou pas, cela se joue entre moi-même et ma conscience.

Je milite de temps à autres. Je descends dans les rues avec des pancartes. Je signe des pétitions.

Mais je ne tapisse pas ma maison de drapeaux et de messages politiques.

Je ne tapisse pas mon blogue d'appels à l'émeute.

Je ne crie pas sur tous les toits qu'il faut cracher sur les hommes qui ne pensent pas comme moi.

Et j'avoue, candidement, que je me suis souvent trompé dans la vie. Et qu'il est possible que je me trompe encore. Je n'ai pas fondé ma vie sur quelques livres sacrés, mais sur une forme d'intégrité intellectuelle qu'il m'est difficile d'expliquer autrement que par des actes de bonté et de solidarité humaine.

Louis a mille raisons de me détester et il ne se prive pas de me le faire savoir aussi souvent qu'il le peut. En son for intérieur, je crains que je figure parmi les premières personnes qu'il souhaiterait décapiter en cas de victoire du Oui. J'ai beau être en faveur de l'indépendance que je distille trop de doutes et de préjugés sentimentaux à ses yeux de fanatique.

Quant à Jeffrey, this proud Canadian in all thy God's commands, je ne lui parle jamais. Il ne parle à personne. Il arrose encore l'asphalte de son stationnement pour le nettoyer et croit faire partie de la race des gagnants, ce qui me le rend insupportable. J'aime mieux les perdants comme Louis, même si Louis ne m'aime pas et qu'il me parle toujours en grinçant des dents.

Louis fume du pot et boit de la bière. Il écoute encore Harmonium et Paul Piché. Il vit de petits boulots, d'assurance-chômage ou d'aide sociale. Il veut un pays par-dessus tout.

Jeffrey déteste les drogués et n'écoute que Tony Bennett. Il va en Floride à chaque hiver et voudrait qu'on envoie tous les maudits séparatistes en prison. C'est un hostie de gros plein d'marde. Il est propriétaire d'un commerce de vente au détail et ne se gêne pas pour congédier tous ceux qui ont mal au dos pour s'assurer de ne pas payer d'indemnités à la CSST.

Bref, malgré tous ses défauts, tout me rapproche de Louis. Même si Louis est un christ de fucké qui se dégraisse le salami dans le drapeau du Québec.












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