jeudi 1 octobre 2015

La tiédeur

Je n'ai jamais eu cette facilité de me glisser dans la peau du converti.

Mes opinions n'engagent que moi-même, d'autant plus qu'elles changent au gré des faits qui s'offrent à mon analyse.

Je n'envie pas ces militants qui ne changent jamais de rhétorique. À vrai dire, je les plains. Leur imperméabilité aux faits me semble un handicap philosophique. Ils ne pensent pas: ils élaborent un plan de conquête. Ils ne réfléchissent pas: ils rusent.

J'ai endossé plusieurs causes au cours de ma vie. Je me suis promené d'un bout à l'autre du spectre politique selon l'idée que je me fais de la justice et de l'interprétation des faits. Je l'ai fait sans ruse, sans user de subterfuge, simplement comme ça vient.

Ce n'est pas l'histoire qui conditionne mes idées. Elle intervient sans doute un tant soit peu. Cependant, je crois que je suis d'abord et avant tout influencé par mes émotions. Ce ne sont pas les meilleurs guides pour évaluer les situations, mais je n'en ai pas trouvé d'autres.

La logique s'adapte à toutes les folies et finirait par justifier tous les génocides. C'est idoine pour l'histoire. On ne peut inlassablement rappeler aux vivants que leur destin est relié aux conflits survenus à l'époque des morts.

L'histoire est encore plus mauvaise conseillère que la danse. Avant de faire référence à l'histoire pour pointer du doigt d'hypothétiques oppresseurs, ayez cette humilité de danser à leurs côtés. Faites le pas de l'ange plutôt que le pas de l'oie. Laissez-vous aller. Remettez les doctrines à plus tard. Abandonnez-vous sur un air de musique et inventez-vous des ennemis ensuite s'il vous reste du souffle.

Évidemment, je dis ça surtout pour moi. J'ai l'âme tourmentée voyez-vous. Un jour, j'embarque dans l'idée que la religion est une idéologie et non pas une race. Je la critique et lui refuse le rôle d'arbitre qu'elle voudrait se donner pour l'ensemble de la communauté humaine. Puis je reconnais le lendemain qu'il y a des croyants qui font le bien autour d'eux. J'aime ces gens-là non pas parce qu'ils sont croyants, mais parce qu'ils font le bien...

Et voilà que ma critique de la religion se réanime. Ton dieu ne vaut pas mieux que leurs dieux. Si leurs dieux sont des illusions, le tien aussi. Pour le reste, la société gagnerait à s'afficher comme pleinement laïque et ouverte pour protéger l'humanité des guerres de religions tout autant que du nationalisme exacerbé. Foutaises que toutes les imprécations!

Le nationalisme lui-même peut prendre des teintes de religiosité et de fanatisme. Il peut lui aussi conduire au néant. C'est ce qu'avait compris René Lévesque après avoir vu Auschwitz alors qu'il était reporter de guerre au sein de l'armée américaine. Cela explique pourquoi Lévesque se méfiait des tribuns comme Pierre Bourgault. Ce nationalisme tonitruant le dégoûtait profondément. Comme il dégoûte probablement le poète Gilles Vigneault.  Comme il me dégoûte moi-même.

La meilleure manière de ne jamais se tromper c'est de ne rien dire et de ne rien faire. Je n'ai pas plus cette volonté de me transformer en bloc de béton. Comme l'enseignait Alexis Klimov, mon professeur de philosophie à l'université, les tièdes sont vomis tant par le Ciel que par l'Enfer. Il nous disait ça en citant l'Apocalypse de Saint-Jean: "16 Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche."

Eh oui, il y a un fond de mystique chrétienne en moi, vous vous en doutez bien. Je ne suis pas tout à fait athée et encore moins crédule. En fait, je ne suis que moi-même, avec mes élans du coeur, les errements de ma pensée vivante et mes contradictions.

Il n'y aurait pas à fouiller de midi à quatorze heures, dans tout ce que j'ai pu écrire au cours de ma vie, pour y trouver de quoi me faire pendre par une quelconque secte d'agitateurs qui transpirent de l'âme. J'ai écrit, dit et pensé de quoi décevoir tout le monde, même moi.

Je ne suis pas un guide de pensée pour qui que ce soit.

Je refuse ce rôle.

Et je refuse à quiconque de me le donner.

Je ne suis un exemple en rien.

Je n'ai pas toujours raison.

J'ai souvent tort.

Par contre, je pense que j'ai au moins le mérite d'être chaleureux, authentique dans mes opinions, tout sauf tiède.

Retenez surtout que je suis con. Cela me va très bien.





5 commentaires:

  1. Avec l ' âge , m^me sans devenir un vieux con qui ne change jamais d ' avis , mon idée sur les choses de la vie se fait + certaine , m^me si elle n ' est pas toujours bien acceptée -
    Etre fier de ce qu ' on est , sans vanité , n ' est déjà pas mal -
    Un lien pour une présentation d ' un livre - intéressant .

    http://chroniquevirgule.canalblog.com/archives/2015/02/06/31477013.html

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  2. @monde indien: Il y a quelque chose de plus essentiel que le clivage des classes sociales et les idéologies dites progressistes. Les idées ne sont rien sans les individus qui les portent. Léon Bloy et Georges Bernanos, deux fervents chrétiens plutôt conservateurs, me semblent parfois plus près de mon propre sentiment de justice sociale que bien des gens qui se prétendent progressistes et socialistes. On dit que le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Je ne suis certes pas sans raison. Néanmoins, j'essaie tant bien que mal de ne pas laisser tout le champ libre à la raison. Je laisse de la place au don de soi, à l'abnégation et à la pureté des sentiments. Comme le chantait Brassens le Sétois, mourir pour des idées, c'est bien beau, mais lesquelles?

    Le livre que tu me proposes me semble intéressant. J'y ai jeté un coup d'oeil. J'y reviendrai un jour.

    Si tu as la chance de lire Le mendiant ingrat et L'exégèse des lieux communs de Léon Bloy, tu découvriras, si ce n'est pas déjà fait, une voix qui crie dans le désert. Je fais abstraction de son penchant chrétien pour mieux savourer sa défense des pauvres contre les repus. Ses romans sont un peu fastidieux. Trop de mots compliqués pour rien. Ils sont plutôt indigestes. Ses pamphlets lui survivront mieux.

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  3. " Les idées ne sont rien sans les individus qui les portent."
    Merci à toi pour cette belle réponse -
    Ce que tu dis de la Raison est bien vrai aussi -
    Ce que je peux en avoir ( de raison ) n ' est pas vraiment de la " raison " , qui serait de l ' ordre de la logique ni du cartésianisme - qui por moi n ' est rien -
    Mais plutôt de ce qu ' on dit quand on dit " je m ' en fais une raison .. "
    Et quand je m ' en fais une raison , ce sont autant mes chers-res autres qui me font cette raison , que ce que j ' en ressens ( moi aussi , j ' agis , pense , crois .. beaucoup grâce aux émotions - surtout ) -
    NOUS nous faisons une raison , je crois , comme la plus grande part de ce qui se fait dans la vie , nous le faisons : nous , et soi-m^me ...
    Léon Bloy et Bernanos , qu ' il faut que je lise , je lis si peu , réfléchissant le + souvent comme un autiste , sur les quelques phrases de gens généreux-euses glanées ici et là -
    Quant aux classes sociales , il n ' y en a pas vraiment, que de conditions matérielles , mais surtout des classes culturelles : cultures de la générosité et du vrai partage - ou pas .
    Fort heureusement il y a des frères et soeurs du partage - Sans eux , sans elles , je ne pourrais me faire aucune raison -
    Amicalement -

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  4. A propos de mendiant ingrat que je vais essayer de trouver à la bibliothèque de Sète , tu connais " mendiants et orgueilleux " , de Albert Cossery ? , un écrivain égyptien - Moustaki en a fait d ' ailleurs une chanson du m^me nom -

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  5. Oui j'ai lu Cossery et il méritait cette belle chanson de Moustaki...

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