samedi 7 février 2015

L'écriture ou la vie?

J'achève la lecture de L'écriture ou la vie de Jorge Semprun, un récit autobiographique dans lequel il raconte sa difficulté à décrire son expérience de prisonnier du camp de concentration de Buchenwald. Comment, en effet, raconter l'indicible? Plus personne ne voulait entendre parler de la guerre suite à la Libération. De plus, l'ex-prisonnier lui-même avait une soif de vivre incommensurable pour échapper à la mort qui l'avait guetté à chaque heure du jour tout le long de son incarcération dans un camp nazi.

L'écriture ou la vie est une lecture pesante où la littérature l'emporte sur le témoignage, au grand dam du lecteur envers qui l'auteur n'a certainement pas à demander son avis. On peut comprendre, cependant son récit n'a pas la force et l'intensité auxquelles nous conduisent Primo Levi ou bien Varlam Chalamov.

Cela dit, je m'en voudrais de passer pour un esthète face à l'expression de la souffrance humaine qui, bien entendu, n'a pas à marcher dans mes souliers de Québécois tenu à l'écart de l'expérience ultime du Mal.

Qui plus est, je ne m'engageais pas dans une critique littéraire en vous ramenant devant vos yeux ce récit de Jorge Semprun.

J'en venais plutôt à soutenir comme Semprun qu'il est ardu de témoigner d'expériences difficiles qui n'intéressent ni les vivants ni les survivants. (Pour ce qui est des morts, il est déjà trop tard...)

Cela me vient à l'esprit en songeant à ma petite expérience de préposé aux bénéficiaires, un métier que j'ai exercé pendant quatre ans pour payer mes études.

Je peux facilement écrire sur Pierre, Jean, Jacques et toutes sortes de bouffonneries. Par contre, rien ne sort aisément de ces quatre années à travailler auprès des malades et des mourants. C'est comme si ma soif de vivre l'avait emporté sur la mort.

J'avais à peine 19 ans lorsque je fis mon premier quart de travail au Centre hospitalier de l'Université Laval. J'étais relativement narcissique à cette époque et devins préposé aux bénéficiaires pour la simple et bonne raison que j'avais besoin d'argent. Je n'avais pas comme qui dirait la vocation. J'en ai peu connus qui l'avait. La plupart des préposés y avaient appris le métier sur le tas, tout comme moi. Certains étaient humains, d'autres ne l'étaient pas nécessairement. Je faisais partie de la première catégorie compte tenu de mon éducation et des valeurs intrinsèques qui s'y rattachaient.

Je n'étais pas travailleur à Buchenwald, c'est évident, mais j'ai vu des trucs que je ne trouve pas encore la force de raconter. J'y reviendrai sans doute un jour, quand je serai vieux et malade. Pour le moment, j'effleure à peine ce sujet, comme si la vie était plus forte que la mort.

Raconter la vie d'un hôpital, c'est comme revenir du Vietnam. Personne ne veut vraiment entendre les récits que je pourrais raconter sur le sang, le vomi et les autres excrétions du corps humain. Qui s'intéresserait à ces cadavres que nous emballions dans un linceul en mettant une étiquette aux poignets et une aux pieds avant que de les envoyer dans le réfrigérateur de la morgue? Qui voudrait entendre des histoires de yeux révulsés, de langues démesurées qui sortent de la bouche quand survient le dernier râle?

Je m'en veux de comparer mon expérience de vie à celle de Jorge Semprun. Il n'y a pas de commune mesure entre ce qu'il a enduré et ce que j'ai vu. J'étais bien payé pour faire mon boulot et je mangeais huit fois par jour...

Pourtant, je ressens ce vertige d'écrire sur la mort, la souffrance et la maladie. Je le fais de temps à autres, plutôt rarement, alors qu'il me serait possible d'aligner des pages et des pages.

Où veux-je en venir avec cela? Je n'en ai aucune idée. Mes doigts se promènent sur le clavier pour vous rapporter ça comme si je n'avais rien trouvé de mieux à faire.

Ça ne vous dit rien sur L'écriture ou la vie de Jorge Semprun, rien sur les hôpitaux.

Ça en dit trop long sur moi.

Je vais tout de même publier ce billet que je déteste déjà pour son narcissisme outrancier.

Il me serait facile de le détruire.

Trop facile sans doute.

Je vous prie de le tenir pour un défoulement qui ne m'arrivera pas souvent.




4 commentaires:

  1. Il n ' y a pas de honte à souffrir des visages que la mort nous donne -
    Pourtant " j ' ai rêvé qu ' un jour la mort sera belle ! " -
    Comme j ' ai rêvé qu ' un jour " les villes seront belles " -
    Comme , un jour , elles le furent -
    Comme , un jour la mort était belle -
    ( comme le chante Fafà de Belem : il y a eu un jour , ici , un endroit où les gens étaient heureux , où les jeunes , en bandes s ' aiment , où le travail n ' était pas un travail désespérant .. etc ) -
    Mais , si la mort ne doit pas nous effrayer , quoi qu ' on en dise , - car , après tout , il ne s ' agit que d " éteindre la lumière " ( pour en allumer une autre ? car , si " rien ne se perd - rien ne se crée " / Lavoisier (?) - lorsque nous deviendrions minéraux , nous nourririons les magnifiques plants qui peuplent notre magnifique terre ! )
    Si la mort ne doit pas nous effrayer , donc , ce qui est terrible c ' est la souffrance , qui peut atteindre , hélas , des sommets - et les images qu ' elle donne .
    Il ne faut pas accepter celà !
    Et que ceux-celles qui promeuvent cet état aillent se damner en enfer !
    Car nous , nous serons toujours du côté de la vie , du bonheur insouciant , de l ' amour , et de la mort heureuse !
    Axè Bàbà ,
    Saravah !

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  2. Quand tu me ramènes des musiques de Buarque ou de Belem, je pense tout de suite à Moustaki et à Michel Fugain, qui ont beaucoup puisé dans ce répertoire. Fais comme l'oiseau, par exemple, c'est Voce Abuso, l'histoire d'une femme maltraitée... On est loin de l'oiseau. La traduction n'était pas l'affaire de Fugain... Enfin! Faisons comme l'oiseau. Ça vit d'air pur et d'eau fraîche, un oiseau. Et jamais rien ne l'empêche, l'oiseau, d'aller plus haut... haut, haut, haut!

    Le coeur est un oiseau...

    https://www.youtube.com/watch?v=ZSSe-DFYBsY

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  3. Oui , tu faisais remarquer un jour que les français traduisent l ' Américain comme des cons - je sais pas , je parle très peu l ' Anglais - mais pour le Brésilien je fais hélas le m^me constat - " Jsai pas danser " de Moustaki donne des paroles assez niaises , de m^me " ah tu verras " de Nougaro qui n ' a pas osé traduire mot à mot " A que sera " , une des + belles chansons du Brésil -
    Comment ça se fait que tu parles Portuguais ? Un Portuguais venu se marier avec une belle indienne du Nord ?
    Bonne journée à toi !

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  4. Je ne parle pas portuguais - ou si peu. Cependant j'aime la musique brésilienne et j'étais même technicien à la mise en ondes pour une émission brésilienne à la station de radio communautaire de la ville de Québec, CKIA 96,1 FM. Une de mes patronnes était d'origine portugaise, à Montréal. Une de mes amies est née aux Açores. Et la meilleure boulangerie de Montréal était portugaise... Je soupçonne que beaucoup de Québécois sont d'origine mixte, non seulement Français, mais Portugais, Espagnols, Irlandais, Italiens, Allemands, Hollandais, Anishnabés, Haudonosaunis, Micmacs, Haïtiens, Somaliens, Turcs, Juifs, Péruviens, Russes, Ukrainiens, Kényans, etc. Nous sommes, comme les Brésiliens et tous les peuples d'origine latine, fortement métissés.

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