vendredi 14 juin 2013

La run de Ron

Ron habite dans un taudis du centre-ville qui passe au feu une fois par année. Il y a plus de vingt-neuf logements dans cet immeuble sordide et celui de Ron est le plus laid d'entre tous. Les fenêtres ont été arrachées et remplacées par des morceaux de contreplaqué.

Ron n'a pas de fenêtre. Son voisin non plus.

C'est le locataire d'avant Ron qui a pété les vitres. Il avait perdu ses clés et il était saoul. Il a fait contre mauvaise fortune sale coeur. Et paf! Tout a revolé en mille morceaux. Ron aurait fait la même chose, même à jeun.

Ron porte une calotte qui rappelle celle des soldats de la guerre de Sécession. Il ressemble vaguement à Frank Zappa et Groucho Marx, le compte en banque sans doute moins garni et le crâne dégarni sous sa calotte de Confédéré sudiste.

Il y a un gros drapeau sudiste dans le studio de Ron. Il y a aussi quelques tasses, deux cendriers et un gros pot de café instantané. Il n'y a pas de télé ni de radio. Ron n'écoute ni ne regarde rien. Il fume des cigarettes et boit du café instantané et puis c'est tout.

Ron passe le plus clair de son temps dans les rues de la ville à fouiller dans les poubelles. On le voit souvent sur son vélo, traînant derrière lui des masses de matériaux, de canettes et de bouteilles vides. Sa remorque est un peu croche et semble sortie d'entre les mains de Fred Caillou. Elle grince à chaque coup de pédale. Et Ron pédale tout le temps avec une cigarette entre les lèvres, soufflant comme un dragon moribond dans les côtes.

Il fait toujours la même run, tous les jours, comme les chats, les goélands ou bien autre chose.

C'est la run de Ron.

Le gars qui a un drapeau sudiste dans son studio.

Le gars qui a toujours trop chaud dans son taudis parce qu'il n'a pas de fenêtre.

Ce qui fait qu'il dort la porte ouverte, comme s'il dormait dans la rue.

Ron n'éteint jamais ses lumières la nuit. Ce n'est pas chic de le voir dormir sur le plancher, en sous-vêtements malpropres, avec sa calotte de sudiste sur la tête.

Le bloc de Ron est à vendre. C'est écrit sur la pancarte que le propriétaire prend sa retraite. Il laisse entendre que c'est un bloc qui se paie tout seul parce qu'il y a vingt-neuf logements en revenus pour un investissement qui représente une peanut.

1 commentaire:

  1. le propriétaire de Ron est dû pour un bon coup de pied au cul, si tu veux mon avis...

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