jeudi 6 décembre 2012

Se casser l'aïeule

Quand la première neige tombe à gros flocons, tout le monde ou presque est content. Bien sûr qu'il y en a pour chigner. Le bonheur c'est qu'on arrive à les oublier, les chigneux, quand le décor devient féerique. Si vous n'aimez pas la neige et le froid, peut-être que vous n'êtes pas au bon endroit.

La neige tombait justement à gros flocons ce jour-là. Les gens étaient plus conviviaux que de coutume. Ils se parlaient, comme s'il ne suffisait que de cela pour réveiller quelque instinct grégaire enfoui.

La rue commerciale était encore peu achalandée puisqu'il n'était pas encore neuf heures du matin. Déjà les musiques de Noël résonnaient dans les hauts-parleurs. Quelques pas de plus et on n'entendrait plus que les eaux du fleuve s'écouler puisque tout était calme sous cette tempête de neige.

Les écoles n'étaient pas fermées. Quinze centimètres de neige au cours de la journée, ce n'était pas la fin du monde. Juste un changement de décor. Une occasion de saluer les quelques gens rencontrés ça et là.

-Bateau! I' neige hein m'sieur? disait un vieil homme qui pelletait son entrée de cours et qui ressemblait étrangement à un dauphin qui ne se ferait pas la barbe.

-Oui m'sieur! lui répondit l'autre, probablement un étudiant avec des yeux globuleux. Y'en annonce quinze centimètres! ajouta-t-il en roulant des yeux comme un possédé.

-Ah ben bateau! Ai pas fini de pelter torvasse! rétorqua le vieux dauphin courbé sur son scrépeur.

Des écureuils noirs se montraient parfois le bout du nez. C'est rendu qu'ils travaillent même sous la tempête.

Les écureuils de ville sont hyperactifs et même un peu idiots. Ils emmagasinent toute la journée toutes sortes de trucs. Ils les cachent un peu partout. Et ils ont une trop petite cervelle pour se rappeler où ils les ont cachés quand ils ont faim. Alors ils continuent à travailler, à tout moment de l'année, pour compenser sur leurs pertes de mémoire.

Pas de chat ce matin-là. Ils se promènent moins quand il neige. Il n'y avait que des écureuils noirs et des humains qui se parlaient entre eux en riant presque.

-I' va y'avoir d'la neige en masse c't'année à c'qu'i' paraît! racontait une dame toute vêtue de blanc qui attendait son autobus au terminus. J'aurais facilement parié qu'elle travaillait dans le domaine des soins de santé, même si cela n'a rien à voir avec ce récit par trop évanescent.

-La neige ça m'dérange pas, répliquait une grosse madame près d'elle toute vêtue de fortrel. En autant qu'i' s'mette pas à faire du maudit verglas qu'on s'en va su' 'es trottoirs pis zipzap qu'on s'casse l'aïeule!

Comme elle disait ça, elle ne glissa pas parce que la neige était plutôt collante et épaisse. Elle resta sur place, sans remuer d'un cil. J'aurais aussi parié qu'elle travaillait fort pour zipper son manteau devenu trop étroit pour elle.

J'ai sauté dans le bus avec les deux bonnes femmes.

Le chauffeur n'avait pas l'air bête pour une fois.

-Moé 'aime ça 'a neige! M'en va's faire du ski en fin d'semaine! Yes sir! qu'il m'a dit comme si je le connaissais depuis toujours.

-Faut juste faire attention de pas se casser l'aïeule, répliqué-je.

Le soleil ne brillait pas.

Et la neige tombait à gros flocons.

Enfin, pas assez gros pour arrêter un bus de la Société de transport de la Ville.

Oui monsieur.

Oui madame.




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