lundi 27 août 2012

Les élections selon mon père et ma mère

Mon père s'intéressait particulièrement à l'histoire et à la politique. Il ramenait des tas de monographies de la bibliothèque sur ces deux sujets. C'était essentiellement pour mieux s'astiner avec son barbier ou bien avec les gars qui travaillaient avec lui à la shop.

-Dans mon temps, sous Duplessis, c'était la grande noirceur pas rien qu'un peu... À Sayabec, on n'avait pas encore l'électricité. La maison était pas isolée. Les clous pétaient quand ça descendait à moins quarante. On allait à 'école en botteurlos à tour de rôle parce qu'on était dix-huit autour d'la table pis qu'y'avait pas assez d'bottes de robbeurs pour tout l'monde. On apprenait l'histoire pis le p'tit catéchisme pendant qu'les Anglais apprenaient à lire pis à compter... Ça fait qu'on votait Rouge che-nous. On votait pas pour ces maudits Bleus sales qui fourraient 'a province en la vendant dix cents du pied carré... On a élu Jean Lesage, oui monsieur, avec son équipe du tonnerre... I' fallait qu'ça change pis ça a changé... Pis là, Lévesque y'a nationalisé l'électricité... Pis on est sorti d'la Grande Noirceur mon gars...

C'est un peu comment mon père m'expliquait la politique. Lui qui avait toujours voter Rouge, sauf en 1976, parce que René Lévesque était tout autant son homme que Pierre Eliot-Trudeau... Je suis convaincu que son vote provenait du coeur plus que de la tête. Il voyait en Trudeau et Lévesque deux personnalités essentielles de son imaginaire politique, bien qu'il finit par désavouer le dernier, quand il vira conservateur.

-Ej'le savais ben qu'c'était des tabarnaks de Bleus! Y'ont r'sorti la statue de Duplessis sacrament d'calvaire! I' veulent nous faire voter pour les Bleus à Ottawa les mangeux d'marde! I' m'pogneront p'us avec Ti-Pouèle pis la Payette saint-cibouère de calice!

Mon père a voté Oui au référendum de 1980 tout en demeurant membre du Parti Libéral du Québec par sympathie ancienne envers les Rouges. C'était une contradiction vivante, un gars de shop qui y allait du mieux qu'il pouvait avec son vote, misérable liberté qui ne nous est concédée qu'une fois tous les quatre ans. Et les Rouges de ce temps-là avaient besoin de la caution morale d'un gars de shop actif dans sa paroisse. Pis les Rouges l'appelaient pour lui demander de faire du porte-à-porte avec eux. Et mon père, naïvement, a parfois rendu ce service sans bénéficier d'une maudite cent, comme s'il fallait encore battre les Bleus et sauver une certaine idée du progrès.

Martin Luther King et John F. Kennedy faisaient partie de sa brochette de héros, avec T.D. Bouchard, député libéral du comté de Saint-Hyacinthe qui avait l'habitude de se faire crisser dehors de l'Assemblée Nationale lorsqu'il traitait Duplessis de bandit, de voleur et de menteur.

Pour ce qui est de ma mère, c'était bien différent. La politique lui apparaissait comme quelque chose d'infiniment sale et inintéressant.

-I' nous promettent ceci cela pis une fois qu'i' sont élus i' s'mettent à nous fourrer, qu'ça soèye un ou l'autre, c'est toujours pareil!

Elle percevait tous les politiciens comme des menteurs qui lui faisaient perdre son temps alors qu'il y avait tant d'ouvrage à la maison et quelques bons programmes à la télé.

Ma mère votait parce que mon père n'arrêtait jamais de l'achaler avec ça.

-C'est important que t'ailles voter! Même si c'est pour annuler ton vote... C'est pour pas qu'un Bleu ou un mort vote à ta place!

Elle y allait de reculons. Parfois elle faisait des X partout. D'autres fois, elle votait pour la petite Tellier qui avait l'air d'une fille ben fine.

-La petite Tellier? s'étonnait mon père. Tu as voté pour la Tellier? J'ai mon voyage!!! T'as voté marxiste-léniniste!!!

-Mark-six le ministre???

-Communiste! T'as voté pour les communistes qui crèyent ni à Dieu ni à l'Église!!!

-C'était écrit Tellier!!!

-Ouin mais la Tellier est communiste!!!

-Ah ben j'ai mon voyage... J'ai voté communix! Hahaha! Bonyenne!

***

Bref, ma mère a toujours été plutôt anarchique dans l'usage qu'elle fait de son vote.

Mon père est mort depuis un bon boutte. Pour lui, c'est le ciel qui est Rouge, et l'enfer qui est Bleu. Pour demeurer dans le ton, j'ai porté fièrement mon carré rouge au cours des derniers mois, un peu partout, surtout dans la rue avec mes frères et soeurs de combat.

Parfois je pense en Rouge, comme mon père, mais d'un Rouge plus écarlate, plus socialiste.  Je veux poursuivre la Révolution tranquille et mettre un terme à la contre-révolution conservatrice. Je veux de la lumière plutôt que de la noirceur.

Ma mère ne m'a pas dit pour qui elle va voter cette année. Peut-être pour Québec Solidaire si la petite Tellier se représente...



2 commentaires:

  1. Un carré rouge, un carré aux dattes, un carré de suc-qu'à-crême, un autre carré rouge, hein! Le texte est déjà terminé? Bon, j' garde les autres pour demain.

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  2. Y'a aussi le carré fléché du Parti Anti-Avortement du Québec qui se fait passer pour le Parti Conservateur du Québec... Restants de bérets blancs qui parlent du nez avec les autres zoufs de la CAQ qui doivent tous être graissés par les Républicains américains mor(m)ons pour nous réduire en esclavage.

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