mercredi 18 juillet 2012

Feu mon père et le Grand Prix automobile de Trois-Rivières

Mon père est mort d'un cancer, pendant le Grand Prix automobile de Trois-Rivières. Il est parti un vendredi, en plein orage. Puis tout est redevenu calme. Jusqu'au soir où il y eut le feu d'artifices du Grand Prix. Puis le lendemain, vrrr-oum! On n'entendait que ça partout en ville. Je fixais un point vide dans ma tête pour résister à une douleur viscérale. On l'a enterré au cimetière Saint-Michel pendant la dernière course, un dimanche après-midi. Mon père détestait les automobiles et tout autant le Grand Prix. La mort est ironique...

Je ne veux pas vous jouer le jeu d'un deuil dont je suis depuis longtemps remis. Seulement, il me fallait faire cette entrée en matière. Le Grand Prix de Trois-Rivières revient me décrisser le moral pour une fin de semaine. Je dois fuir ma ville natale lors de ce week-end de pollution sonore et environnementale.

Rien de mieux que de fuir dans les bois pour communier avec mon père et mes ancêtres.

Mon père, Conrad, était le fils de Éloi Bouchard, probable métis micmac de Sainte-Luce-sur-Mer, et de Adrienne Létourneau, Anishnabé née sur la réserve autochtone de Saint-Régis, aujourd'hui appelée Akwasasné.

Il est né à Sayabec le 17 ou 18 août 1933. Il n'a jamais su nous dire le jour exact, même après avoir été chercher son baptistère à l'église du village. On le célébrait le 18 pour faire court.

Éloi était foreman pour la scierie Ferguson. Il avait six enfants avec sa première femme. Trois ou quatre jours après son décès, il était monté à Québec pour marier ma grand-mère, une vieille fille dans la vingtaine avancée. C'était un mariage plus ou moins arrangé par l'église pour ne pas laisser un pauvre veuf dans la misère.

Mon père a été le premier enfant né de ce couple. Il en sortira une quinzaine d'autres. Douze auront survécu au total.

C'était donc une grosse famille. Ils vivaient pauvrement, au seuil de l'indigence, comme bien des familles de cette époque dans la Vallée de la Matapédia.

Ils allaient à l'école à tour de rôle puisqu'ils n'avaient pas de souliers pour chacun. Un jour c'était le groupe numéro un et le lendemain le groupe numéro deux. On refusait la présence des Bouchard sur les photos d'école de fin d'année parce qu'ils avaient l'air trop pauvres.

Son enfance à Sayabec et Sainte-Luce-sur-Mer me revient en mémoire comme de vieilles légendes incomplètes.

Mon père mangeait de la morue pour déjeuner. Pour dîner: de la morue. Et pour souper: encore de la morue. Il y avait aussi la possibilité de se faire une beurrée de mélasse ou de cassonade.

Sa liberté, il la prenait dans les bois. Un vieux bonhomme lui a appris ce qui pouvait se manger dans les bois. Il m'a transmis cet héritage. Peu de mots. Juste des «ça, ça se mange», «ça c'est poison!». Aucune description physique du vieux bonhomme.

Popa me racontait aussi qu'ils gelaient comme l'enfer l'hiver. La baraque n'était pas isolée. Les clous pétaient par grand froid.

Je ne possède que des bribes de l'enfance de mon père.

Et je me remémore tout ça comme des mantras, de temps à autres, quand on approche de la fin de semaine du Grand Prix automobile de Trois-Rivières...

2 commentaires:

  1. Punaise, on s'imagine même plus, ici, et maintenant, comment c'était dur de juste rester en vie, "avant".

    Nos pères sont nés dans le même mois, au fait. Quasi le même jour, du reste. En 1920, le mien.

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  2. Oui, et on voudrait renvoyer travailler les enfants dans les mines comme au XIXe siècle... Germinal cibouère!

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