mardi 12 juin 2012

Une piastre de plus que le salaire minimum vous ferait porter un carré rouge

Raymond n'est pas très grand et peut-être un peu gras. Ce cinquantenaire fait ce qu'il peut avec ce qu'il n'a pas. Sa carte de crédit est pleine. Son vieux char n'est pas encore tout payé. Et il ressemble vaguement à l'acteur Rémi Girard qui aurait des cheveux frisés roux et un nez croche.

Raymond travaille pour American Warehouse & Co.. Il est manutentionnaire et un peu chauffeur de chariot élévateur. Plus manutentionnaire que chauffeur. Il est payé une piastre de plus que le salaire minimum. Ils sont cinq employés, six avec le gérant, Bob Bibeau, un gars payé une piastre et demie de plus que le salaire minimum. Raymond a dix-huit ans de service. Et trois semaines de vacances par année. Il travaille à peu près cinquante heures par semaine, deux fins de semaine sur trois.

Sa blonde, Jinny, travaille chez  L'Écrevisse Géant. Elle s'y occupe de l'entretien ménager depuis vingt-trois ans. Elle ne ressemble pas à Jinny. Elle ressemble à une petite madame toute maigre avec des nerfs d'acier qui lui sortent de partout. Elle est encore au salaire minimum sans pourboire avec seulement deux semaines de vacances par année. L'Écrevisse Géant a changé au moins dix fois de propriétaire en vingt ans. Ça s'appelait Le Soleil, puis Le Resto du Coin. Maintenant, c'est L'Écrevisse Géant.

Leurs deux filles sont au Cégep et travaillent chez  L'Écrevisse Géant  tous les soirs et toutes les fins de semaine. Elles veulent aller à l'université. Maude souhaite devenir professeure de français. Et Cassandra rêve d'être avocate. Elles ont de l'ambition, les p'tites bonyeuses et elles font la fierté de leurs parents.

Raymond s'est pété le pouce la semaine passée. Il travaille quand même. Il dit qu'ils n'ont pas le moyen de vivre de l'assurance-chômage maladie. Ils arrivent toujours à la cent. Il y a toujours des dépenses imprévues. Raymond s'est fait trois quatre tours de scotch tape autour du pouce et merci bonsoir il était au travail, comme d'habitude. Il s'endormait en calice cette journée-là. Il avait failli embroché Bob Bibeau avec les palettes de son lift-truck. Raymond avait pris beaucoup trop de pilules pour endormir son mal. Ça lui faisait cogner des clous que l'tabarnak. Les pilules au volant, ce n'est pas loin d'être criminel, mais bon, Raymond fait ce qu'il peut pour ne pas laisser la compagnie dans la marde...

Raymond et Jinny ne connaissent pas grand' chose à l'argent. Ils paient des taxes et des impôts comme ça ne se peut pas. Il faut être riche pour ne pas payer d'impôts, tout le monde sait ça. Ils font partie de la plus basse classe de ceux et celles qui se font plumer par des gouvernements corrompus successifs. Ils ne font même pas partie de la classe moyenne... cette vue de l'esprit.

Leurs filles sont des hosties de révoltées et leurs parents en sont fiers.

-Pourvu qui s'fassent pas plumer toute leur vie comme nous autres, calice! qu'ils disent, Raymond et Jinny.

Maude et Cassandra portent le carré rouge dans les rues de Montréal. Elles ne racontent pas tout à leurs parents, pour ne pas les inquiéter outre mesure. Elles ont pourtant reçu des coups de matraques dans les jambes en manifestant pacifiquement. C'était en février dernier. Puis en mars, le poivre de cayenne, les gaz lacrymogènes, les policiers à cheval chargeant la foule comme les cosaques de la Sainte Russie tsariste... Je ne vous raconterai même pas l'émeute de Victoriaville et puis la grande rafle fasciste du Grand Prix de la Bêtise...

Raymond porte aussi son carré rouge, bien entendu, mais pas au travail. La politique pis American Warehouse & Co. ça ne va pas ensemble. Bob Bibeau n'y connaît rien anyway. Tout ce qui l'intéresse c'est le hockey, même s'il n'a jamais joué au hockey de sa vie.

Jinny a réussi a entraîné Raymond dans les manifs de casseroles. Au début, Raymond était réticent. Mais il a fini par se douter que ses filles se faisaient tapocher dessus et peut-être emprisonner par des types qui ne leur arrivaient moralement pas à la hauteur de la cheville. Elles sont tellement fines et gentilles, leurs filles... Elles aident tout le monde. Elles ont le coeur sur la main. Comme Raymond et Jinny. Deux hosties de pauvres, bien sûr, mais certainement pas les lâches et les paresseux dont parlent Lulu himself et autres tarlais de la politique politicienne dégénérée et visqueuse.

Il n'y a pas de chicane autour de la table lors des repas familiaux. Tout le monde est d'accord pour se libérer des libéraux.

-Qu'i' décalisse Charest! qu'ils disent, Raymond, Jinny, Maude et Cassandra, une dangereuse famille de sans-parti d'extrême-gauche qui défie tous les soirs la loi 78...

2 commentaires:

  1. Faudrait que le Québec entier soit comme ces quatre-là.

    RépondreEffacer
  2. Le Québec s'est beaucoup amélioré, l'air de rien, au cours des derniers mois. Bien sûr, il y a les matraquages, les tabassages et les poivrages d'individus à peu près tous pacifiques... Pourtant, comment ne pas voir un peuple qui se tient debout quand on voit tous ces gens défier la loi et la police politique de Jean Charogne...
    Jamais la corruption n'a été aussi ébranlée au Québec. Il faut s'attendre à beaucoup de surprises d'ici le 24 juin... fête nationale du Québec... Y'a la manif du 22 juin devant l'Assemblée Nationale... et le 24... sacrament! Je n'ose même pas penser à ce qui va se produire...

    RépondreEffacer