vendredi 29 juin 2012

Encore à propos de Ernie, tallyman du lot de trappe R-24

Ernie vient de se lever. Il se fait un bon thé, accompagné d'une bonne pipée de thé du Labrador, une herbe apaisante. Il remue les braises dans le foyer puis y rajoute quelques bouts de branche pour enlever l'humidité dans sa cabane d'été, située aux abords de la rivière Rupert.

L'air est frais et vif. Les oiseaux exercent déjà leur chant matinal. Ernie se rappelle ses nuits à Montréal et Toronto, il y a très longtemps, à l'époque où il avait voulu voir de quoi avait l'air la vie des Blancs. Il était vite revenu sur la réserve, à Nemaska. Pas question pour lui de retourner là! Le rythme des métropoles est bien trop rapide et personne n'ose vous regarder droit dans les yeux, comme s'ils cachaient tous quelque chose d'hypocrite.

L'été, Ernie ne travaille pas trop fort. Il pêche du poisson, cueille des baies sauvages, mange ce qu'il trouve à portée de la main, mélangé à son gruau d'avoine ou bien à sa farine. Il ne se casse pas trop la tête avec l'art gastronomique. Il n'a qu'à tendre le bras pour son garde-manger.

Il répare ses pièges à castors en vue de la saison de trappe automnale, évidemment. C'est si bon du castor. Meilleur que l'orignal ou le caribou, selon Ernie. Il en salive rien qu'à y penser.

Tiens, tiens, une perdrix vient de passer sous ses yeux. Et un lièvre aussi.

-Wachiya! qu'Ernie leur dit, pour les saluer.

On ne peut pas dire qu'il parle beaucoup, Ernie. D'abord, il est seul dans le bois. Et puis il est de coutume de ne pas parler pour ne rien dire dans la communauté dont il est issue, les Iyéyous, ou si vous préférez les Cris.

Un Cri ne passe son temps à crier voyez-vous. L'Iyéyou est le gardien de la forêt boréale. Contempler est son métier. Il dresse tous les jours l'inventaire des âmes à protéger sous l'influence de Kitché Manitou, l'Innommé, dans une spiritualité pas très bavarde.

Son lot de trappe R-24 est sous sa bonne protection. Ernie vit encore au rythme de ses ancêtres, tous enterrés sur son lot de trappe, hormis son père qui s'est noyé après que son canot ait chaviré sur la rivière Eastmain. Des choses qui arrivent. Quand on veut qu'il n'arrive rien, on ne fait rien.

N'empêche que Ernie est dur comme un mélèze. Il a quatre-vingt-trois ans bien sonnés et il vit encore tout fin seul dans les bois, pratiquement dix mois par année. Il passe le mois de janvier à Nemaska et l'été à Chisasibi, question de se réapprovisionner, de faire un peu de commerce, de toucher un peu d'argent. Un chopper (hélicoptère) le transporte d'un point à l'autre de son territoire.

Il n'a qu'à loger un appel sur son vieux cibi en cas d'urgence, bien qu'il ne soit jamais allé à l'hôpital.

Ernie n'est jamais malade.

C'est fort cet homme-là comme vous n'en avez pas idée. Depuis qu'il est au monde, Ernie a parcouru la distance de la terre à la lune à pieds ou en raquettes

Ernie n'a pas de motoneige ni de quatre-roues. Il déteste ces engins qui effraient la nature et lui font faire mauvaise chasse. Le moins possible, qu'il se dit, le vieil ours. Le chopper c'est bien suffisant.

Le soleil est encore plus haut dans le ciel.

Ernie est déjà sur les sentiers pour y cueillir des baies pour la journée.

Il y a trois esturgeons fumés prêts à se laisser dévorer dans son shack.

La théière est pleine de bon  thé.

Sa pipe est bourrée de thé du Labrador.

Ernie se sent le plus heureux des hommes et pensent aux gens du Sud avec un mélange de tristesse et de compassion.

3 commentaires:

  1. Excellent conteur!!
    Ça part bien la journée.
    Tinquiou!
    :¬)

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  2. merci de me faire démarrer ma journée avec un beau sourire de simple joie.

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  3. Migwetch (merci) à vous deux, Sauvages de l'Internet et compatriotes d'une certaine idée de la valeur humaine.

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