vendredi 16 janvier 2009

Gamache le P'tit Jos Connaissant

Il s'appelait Simon Gamache. Il était petit, svelte et avait le front un peu dégarni. Rien de bien sexy. Pour le cul, il se rabattait donc sur son statut de prof en littérature québécoise à l'université, parce que physiquement et psychiquement Gamache n'avait vraiment pas de quoi faire saliver une belle gourmande ou bien une gourgandine.

Gamache louchait dans le sens opposé de Jean-Paul Sartre, son écrivain français préféré. Il ne l'avait jamais lu par ailleurs, sinon par le biais de quelques biographes ou bien par quelques documentaires à la télé.

De plus, Gamache avait les dents croûtées par la résine de tabac, le café et le fromage. Il n'était pas très porté sur l'hygiène buccale.

Il n'avait pas de femme, évidemment. Et puis le sexe ne l'intéressait pas du tout. Gamache était un pur esprit. Il ne prenait pas plus de quinze secondes par jour pour se dégraisser le salami. Et c'était toujours en s'hypnotisant avec la même photo tirée d'une revue de cul qu'il traînait avec lui depuis sa plus bouillante adolescence, une photo de la star des années '80 Samantha Renard. Sur cette photo qui a été des milliers de fois remuée, Samantha porte un tee-shirt déchiré et semble vous regarder avec un air de hyène lubrique. Gamache n'en demandait pas plus. Souque! Souque! Souque! Et hop là, tout le travail était vite fait et bien fait! Un coup de torchon et plus rien n'y paraissait.

Gamache pouvait ensuite se consacrer entièrement à son travail de tête. Lire des journaux. Des magazines littéraires. Des notes de cours.

Gamache s'était mérité le surnom de P'tit Jos Connaissant à force d'abonder en lieux communs à tout propos pour se donner une profondeur qui, manifestement, lui faisait défaut.

Très jeune, Gamache avait commencé par lire L'Almanach du peuple puis quelques journaux. La plupart du temps, quoi qu' il en soit, Gamache se contentait de regarder la télévision pour apprendre par coeur quelques expressions de bourgeois d'apparence cultivé: «bien sûr, bien sûr», «tout à fait», «il va sans dire», «le signifiant et le signifié», «la tête à Papineau» et autres niaiseries du même ordre. Ce qui fait que les bourgeois le comprenaient et le croyaient l'un des leurs. Même qu'il jouait au bridge et sifflait quelques bouteilles de rouge avec eux. Le bonheur.

-Ah! qu'il est agréable de savourer une bonne bouteille de rouge entre personnes qui raffolent des arts et de la littérature québécoise! disait-il souvent, Gamache, en ajoutant «Vive le vin et l'art!», un clin d'oeil au poème La romance du vin, connu de tous les cégépiens ayant un tant soit peu de mémoire.

À l'école, Gamache n'avait lu que des lectures obligatoires. Il lisait rarement des livres qui sortaient du cadre du programme scolaire, même s'il s'était rendu jusqu'à la maîtrise en littérature québécoise.

Gamache avait lu tout ce qu'il convient de lire: Nulligan-le-copieur-du-Parnasse, Ayoye ma grosse orteil, L'homme empaillé et autres plaquettes de micropoètes à demi lettrés qui se fatiguaient vite à la tâche. Ils écrivaient tous leurs vers à vingt-et-un an et passaient ensuite toute leur vie à rabâcher leur nullité élevée au rang de chef d'oeuvre par quelques messieurs Jourdain, Bouvard et Pécuchet du ministère.

-Nulligan, ah oui, Ce fût un grand faisceau taillé dans l'art massif... Et Raoul Labrahoule: ayoye, oh, ayoye ma grosse orteil! Et L'homme empaillé: je te ferai terre de Québec n'importe quand, n'importe y'où, n'importe quoi, n'importe comment! Terre de ceci ou cela! Oh! Oh!

Ce n'était manifestement que de la merde. Du fumier pour prof de littérature à la maîtrise ou bien au doctorat. Plus tu trouvais que ça sentait bon, eh bien plus tu accédais aux hautes sphères de la culture officielle, de la culture plate, poche, soporifique, patriotarde, nulle à chier quoi. Tous les 5 à 7 et coquetels bourgeois s'ouvraient à toi. Pourquoi aurait-il fallu en savoir plus? Contente-toi de peu, bonhomme. Ne lis que des plaquettes approuvées par le ministère.

Ce qui fait que Gamache avait fait sa maîtrise sur L'homme empaillé. Et tous les honneurs lui revinrent facilement ensuite. Sa thèse de maîtrise a été légèrement modifiée et publiée sous le titre de L'homme empaillé dans l'imaginaire québécois - Essai sur le signifiant et le signifié dans l'oeuvre de Rémi Grondin. C'était, je vous le jure, tout à fait illisible et dénotait à chaque ligne la marque d'un parfait P'tit Jos Connaissant qui ne maîtrise pas son vocabulaire et encore moins sa prose. Un cordonnier mal chaussé qui voulait enseigner la littérature et qui, malheureusement, réussit à le faire en récoltant tous les honneurs au passage, les publications et les traductions de ses écrits grotesques, incultes, merdiques.

Mais Gamache faisait partie de la poutine. Il avait fait ce qu'il devait faire et les niaiseux du ministère n'en demandaient pas plus. Et comme Gamache fréquentait ces niaiseux, il se croyait grand, voyez-vous, et connaissant. Mais Gamache ne trompait personne, sinon ces niaiseux qui ne trompaient qu'eux-mêmes, eux aussi. Ils avaient tous reçu la même formation de niaiseux vaniteux et se croyaient investis d'un savoir immense pour avoir lu deux ou trois strophes bien québécoises ça et là, au cours de leurs études on ne peut plus lâchement conformiste.

Gamache, que vous le croyiez ou non, a même fini par devenir président de l'association locale des écrivains. Il siège sur tous les jurys littéraires et détermine ce qui est bon ou mauvais pour recevoir des récompenses et de l'argent.

Gamache connaît tout mais ne sait rien. Tu lui parles de quoi que ce soit, il trouve toujours réponse à tout et ne fait que répéter toujours les mêmes sempiternelles conneries. On aurait dit qu'il a reçu un coup de pelle sur la tête dans son enfance et qu'il est encore sous l'état de choc du coup de pelle.

-Il faut faire ceci ou cela! On doit faire ceci ou cela! dit-il tout le temps.

Devoir, falloir et toutes sortes d'impératifs lui passent par la bouche, le con, qui sait à peine lacer ses chaussures.

Même qu'il joue au politicien. Parle de devoirs patriotiques. De salut au drapeau. Et autres trucs de types qui se crosse sur des photos.

C'est vraiment un P'tit Jos Connaissant et il m'énerve, Gamache.

Mais que voulez-vous que j'y fasse?

Rien. Sinon tenir un blogue. Et écrire des histoires. Et rêver à voix haute d'un système d'éducation où les ploucs n'occupent pas le devant de la scène.

That's it. That's all.

1 commentaire:

  1. et oui. sacré Gamache. deutsch gramophone et compagnie. un bon bonjour à lui, et à son père, sa mère, tous les musiciens du far west abandonné. c'est triste, mais au moins, ça n'a pas d'âme.

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