samedi 15 novembre 2008

Ce chien de Gutenberg!


Les journées n'étaient plus aussi lentes et remplies qu'auparavant. L'abbaye du Mont Réal résistait tant que bien que mal à cette invention de ce chien de Gutenberg, l'imprimerie, cette machine du diable qui reproduisait en série des lettres et même des images, mais des lettres sans âme et des images aussi noires que plates.

Même qu'à certains endroits, l'encre manquait, laissant un grand espace vide, au beau milieu d'une Bible, par exemple, d'une Bible produite en série par ce chien de Gutenberg.

À l'abbaye, le travail des moines copistes s'en était tout de suite ressenti. Plus personne ne mettait la main à l'ouvrage comme avant. Les jeunes moines n'avaient plus le même entrain. Leur travail était bâclé, maladroit. Ils peinaient à garder le silence et ils semblaient trop curieux en toutes choses, la tête toujours dans les nuages.

Beaucoup de jeunes moines s'enfuyaient de l'abbaye de Mont Réal pour retourner dans le monde. Même que certains, dont les frères Domitius et Syllabus, travaillaient maintenant pour l'imprimeur du bourg qui publiaient des tas d'auteurs libertins qui devraient brûler en enfer! Imaginez, il y en avait même qui prétendaient que Dieu n'existait pas! Et d'autres qui racontaient leurs nuits de débauche! Était-ce l'Apocalypse?

Ça l'était, pour le moine Benedictus, un vieux sec à cheval sur les règles et les principes.

Benedictus tenait plus du corbeau que de l'aigle; du rat que du renard; de la larve que du crustacé. Et son oeil, précis pour la calligraphie et l'enluminure, n'en était pas moins inquisiteur, hautain et méprisant, comme l'oeil de toute personne engluée dans l'habitude qui ne demande rien d'autre que de ne jamais être surpris.

Benedictus ne dormait pas sans qu'il ne soit certain que ses sandales soient bien enlignées à l'endroit même où il posait toujours les pieds, d'un matin à l'autre.

Il souhaitait que sa vie soit toujours la même, pour la plus grande gloire de Dieu, soit la vie d'un moine copiste qui en était déjà à sa troisième Bible.

-Dieu a tout prévu dans son admirable dessein. Et moi, Benedictus, je suis le copiste de Dieu!

Évidemment, Benedictus ne disait jamais ça à voix haute. Il restait emmuré dans son silence. Emmuré dans sa Bible, écrite avec sa main, son âme et son sang. Deux Bibles, imaginez, et une troisième qui s'en venait... Gutenberg et les autres maquignons pourraient bien en publier des centaines d'ici trois jours, que jamais ces Bibles de papier bon marché ne vaudraient les deux Bibles sur parchemin de Benedictus Magnus. Et ils pourraient publier ces tas d'ouvrages libertins que le courroux de Dieu finirait bien un jour par les atteindre, eux et leurs maudites machines à publier n'importe quoi!

Derrière lui, deux Bibles calligraphiées avec une passion maniaque, lettre à lettre, et ces enluminures, ce privilège de pouvoir manipuler les couleurs et les feuilles d'or, de les poser sur le parchemin, pour sacraliser la voix même de Dieu!

Benedictus réfléchissait à cela. Un moment de distraction. Cela lui arrivait parfois, lui aussi, malheureusement. Il trempa sa plume dans le pot d'encre. Il la cogna légèrement contre le rebord du pot pour enlever l'excédent d'encre. Puis il traça des lettres In principio erat verbum et verbum erat apud deum... C'était l'Évangile de Saint-Jean, le plus beau de tous. L'Évangile où même les libertins entendaient presque la voix de Dieu...

***

Les frères Domitius et Syllabus ont repris leur vie séculière. L'un publie sous le pseudonyme de Jean-la-trique et l'autre sous celui de Grosse-Pine. Nos deux lascars mènent une vie dissolue à Paris. Ils s'adonnent à toutes les passions du monde: alcool, femmes, bouffe, jeu. Ils nétaient que des copistes. Ce sont maintenant des artistes. Et ils font fortune.

Au lieu de copier les paroles de Dieu, ils rédigent des récits libertins, des sonnets grivois, du théâtre blasphémateur. Et ils mettent ça sous presse, Jean-la-trique et Grosse-Pine, et ils en vendent à la pelle, comme des petits pains chauds. Les nobles en raffolent, surtout les marquises.

Pourquoi? Parce que le monde n'aime que la pourriture et ne veut plus entendre la voix de Dieu.

Paris sera toujours Paris.

Et ils n'aiment que la merde là-bas.

Malheur à toi, Sodome!

3 commentaires:

  1. Ma foi du bon Dieu. Paris a beau avoir le dos large, mais faudrait pas qu'elle échappe sa savonnette.

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  2. et bien mon cher !! si tu savais ce que te dis la marquise !!

    nom d'une pipe !!
    faut que je révises le sacre !!
    ici j'en mettrais bien calicement amené ...

    je vais demander validation à mon tuteur de sacre !!

    Paris ! la ville de tous les vices !!
    il est grand temps que tu te déplaces dear !!

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  3. Ah! Paris sera toujours Paris!

    Ce qui n'a rien à voir avec le Paris-Pâté, infâme mixture de viande broyée bourrée de sulfites dont les chats raffolent et que l'on vend à vil prix aux humains.

    Est-ce que ça se vendrait à Paris, du Paris-Pâté?

    Paris a le dos large, Sandra?

    Je parie que oui.

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