dimanche 28 septembre 2008

SANS CONNAISSANCE


Je suis tombé sans connaissance après avoir lu le roman éponyme de Éric McComber.

D'abord, je suis un gars qui aime sacrer. J'aime sacrer parce que c'est vulgaire. Et j'aime passer pour quelqu'un de vulgaire dans un monde où les gens qui se croient convenables sont parfois de puantes ordures. Le parfum, ça ne cache pas toujours l'odeur de merde. La cravate, ça ne fait pas plus raffiné et plus sincère pour autant. Bref, il y a chez les bums et les gens qui sacrent une certaine franchise qui n'est pas nécessairement un refus de penser ou de réfléchir, mais bien plus un refus de se soumettre, un devoir de résistance envers tous les conquistadores du passé, du présent, voire du futur.

Je partage avec McComber une particularité génétique. Nous sommes tous les deux d'ascendance autochtone, lui mohawk et moi algonquin, deux nations ennemies par le passé, qui ont fini par faire la paix et vivre ensemble. Et ça jouait sévère chez nos ancêtres. Nous portons encore dans nos gênes des actes de cannibalisme, du ragoût de Robe Noire, des danses du soleil qui te brûlent les lèvres jusqu'au petit matin, parce que c'est quelque chose de danser avec un tison dans la gueule, toute la nuit... Remarquez que je ne l'ai encore jamais faite, la danse du soleil. Du moins, pas à ma connaissance.

McComber, dans son roman Sans connaissance qu'il a publié à Paris, l'an passé, aux éditions Autrement, vient de prouver que l'on peut écrire ses danses du soleil en joual et publier à Paris, tabarnak, et juste pour ça, ben ce roman est devenu incontournable.
Si vous ne le lisez pas, c'est que vous vous en torchez, de la littérature au Québec, et que vous préférez le confort oh combien sédatif d'une lecture divisée en chapitres réguliers, avec une intrigue régulière et un albinos qui veut tirer sur tout ce qui bouge autour de lui.

Éric McComber est un sacreux. Son roman, écrit en joual, arrive à point nommé en France, dans la foulée du film Les Chtis, où les Français s'intéressent subitement à d'autres sonorités françaises, dont celles d'Amérique. McComber écrit comme un américain qui aurait été mieux que bien traduit. Il arrive en France sans complexe, yes sir tabarnak, et il raconte ses histoires, en français vernaculaire, dans une langue aussi vivante que celle de Rabelais, Sade, Marcel Aymé, Louis-Ferdinand Céline ou Marcel Pagnol. McComber nous représente bien parce qu'il est libre comme l'air.

Cette langue française, qui pourrait être maniérée, a profité d'une lecture assidue des pères fondateurs de la littérature introspective passionnante: Henry Miller, John Fante et Charles Bukowski. Cela donne en bout de ligne Sans connaissance, une oeuvre brute, trajectoire d'un nouveau Bandini, Émile Duncan, qui raconte sa vie sans enflures, n'hésitant pas au passage de s'égratigner, de se présenter sous son plus mauvais jour. C'est beau. C'est laid. Ça cogne.

Les années d'apprentissage de cet Émile Duncan sont admirablement servies par la plume incisive de McComber qui la trempe visiblement dans son propre sang.

Car ça saigne dans Sans connaissance, ça saigne pour vrai. Ce ne sont pas des accroires. Ce n'est pas de la littérature de mauviettes. C'est décapant comme l'acide à dégraisser les plaques de cuisson, au resto. C'est effervescent comme le tabarnak.

Christian Mistral m'a fait découvrir McComber et depuis, vous savez quoi? Je ne m'en passerais pas. Je veux lire toutes ses oeuvres. Je passe mon temps à lire ses messages sur son blogue, pour voir s'il va me sortir une histoire de bar ou bien un récit de voyage à me fendre la gueule en sang. Et c'est pareil pour Mistral. Pourquoi ne les ai-je pas connus avant, hein?
Je déteste le ouèbe pour ça. On se rend compte, bientôt, qu'il y a du talent en surnombre. Et cela fait réduire ses rancoeurs, ses rancunes, ses déceptions envers les arts et les lettres. J'ai appris à connaître et apprécier deux écrivains majeurs québécois en moins d'un mois. Ce n'est pas de la tarte. Comment l'année va-t-elle se finir? N'était-ce qu'un coup de chance? Je le crois. De telles qualités, ça ne s'attrape pas comme un virus. Ça prend une longue période d'incubation. L'expérience, le vécu et la maîtrise de la syntaxe, ça ne s'achète pas.

McComber s'acharne, avec éloquence, à transcrire fiablement ce que l'on entend à l'oreille, quand on se parle entre nous, Québécois de souche, sauvages ou d'adoption.

McComber réussit mieux que plusieurs, à mon avis, à créer de ces sonorités qui viennent enrichir le génie de la langue française. Notre joual est à l'honneur et notre poulain, McComber, nous représente bien et nous fait honneur, en France. En France, chez Autrement, peut-être parce que nos éditeurs sont frileux ici. «S'il fallait que les gens se mettent à aimer ça, tous ces tabarnaks, estis ou whatever. Les gens parlent-ils vraiment ainsi?» Hee... Oui!

Je vous cite un passage. Rien qu'un. Si vous en voulez plus, achetez Sans connaissance. Vous ne le regretterez pas et vous n'allez pas le lâcher, même si ça vous choque, juste parce que c'est vrai. C'est si rare de tenir quelque chose de vrai entre ses mains qu'on en a oublié le goût.

Mangez de la vraie viande, du steak haché pour voir, de la vie, pas quelque chose d'enrobé dans du plastique. Et vous m'en donnerez des nouvelles.

Le steak haché de supermarché ne goûte rien. Celui qui est fait avec passion, plaisir et nécessité vitale, par le boucher ou l'écrivain, eh bien il goûte bon.

On en mangerait cru si l'on ne freakait pas tant sur les microbes. Mes ancêtres algonquins et les ancêtres mohawks en kilt de McComber n'en faisaient pas plus de cas. La vie, hostie, ça se mange cru.
Et c'est cru, le roman Sans connaissance, oyoyoye que c'est cru. C'est pas de la piquette. C'est un christ de bon cru. Raw power, que je vous dis, pour reprendre le titre d'une toune de Iggy Pop.

Je ne veux pas passer pour un goujat, mais c'est aujourd'hui la fête de McComber et il me semble nécessaire de terminer sur un passage de Sans connaissance qui, sans vous vendre le punch, vous donnera tout de même une juste idée quant au ton qu'il emploie dans son roman, un ton libre, enjoué, sans pour autant négliger la profondeur du propos, le contenu étant tout aussi saisissant que son emballage.

Émile Duncan a mangé une raclée. Il est à l’hôpital et, tout à coup, il reconnaît Laurie, une anglophone. C’est le jour de son anniversaire et il croit qu’elle s’est déguisée en infirmière pour lui souhaiter bonne fête. Pas du tout. Elle travaille à l’hôpital...

«-Émile, I like you man… You’re funny. Mey, je pas venoue ici pour niaisey. Je travaille ici, Émile. Joyeux anniversaire, Émile, mey mon job ce matin, c’est de te faire oune lavement.
-Un lavement?
-Pour les examens, plous tard aujourd’hui. Faut que je te mette oune tuyau dans le rectum et je pompe de l’eau pour nettoyer ton intestin, Émile. Tou as plein du sang dans ton intestin. Si tou préférey, je peux demander à oune autre nurse de faire.
-Bah… Baaah.
Au point où j’en suis.
Je me tourne sur le côté. Elle met des gants, badigeonne, m’ordonne de prendre une bonne respiration. Ca y est. Joyeux anniversaireuuh!»

Éric McComber, Sans connaissance, Éditions Autrement, Paris, 2007, pp. 279-280

Hostie que c'est bon ce roman-là!

Hostie que c'est vrai!
Joyeux anniversaireuuh McComber!


PS: Allez écouter la toune Déraciné sur ce lien. Éric McComber est aussi auteur-compositeur-interprète. Pis c'est bon ce qu'il fait. Sur Déraciné, il chante et joue de la slide guitar.

12 commentaires:

  1. Bonjour,
    Sans connaissance est d'abord un livre pour sportif:''On sent que ça va pas aller. Il a pas choisi la bonne soirée. Fonz explose tout à coup. Il bondit par-dessus le bar, son Louiseville slugger virevolte au-dessus de sa tête et bing!'' P.148
    Merci pour le lien musical.

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  2. Oui, tu as tout à fait raison Gaétan, en plus d'avoir un joli prénom.

    Ça bûche en sacrement!

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  3. C't'une grosse fin de semaine, ça, hein! C'est dithyrambique en pas pour rire ton affaire et ça fesse dans le dash. En tout cas, ça vient du coeur. Quand je zyeute ton site, ça me fais penser à des "Bouillon de poulet pour l'âme" version acide à batterie. Ça me plaît.

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  4. Non mey quelle mouche vous a piquey, Mistral pis toey ? Ça publie comme ça sacre, c'est-à-dire à bonds d'amants : modérey vos transports, sacre-amants !!

    Je suis à la bourre, comme disent les cousins ; je dois m'absenter pendant plusieurs jours, sinon j'aurais jaser à propos de tes deux recensions à Mistral et McComber, pis aussi des sacres. J'aime bien ta défense, un vrai "à vos cas" ! N'empêche que je pourrais ajouter (pas nécessairement contredire, tu vois), à propos du sacrage, parce que parfois aussi ça ne reflète pas ce que t'en dis... chanceux, j'manque de temps. Au retour... Ciao !

    (au fait, c'est pas tous les éditeurs français qui accepteraient non plus de publier McComber et d'autres Québécois : même qu'y en a qui joualisent pas pis qui se font reprendre à devoir réécrire autrement certaines phrases ou changer un mot paske ça passerait pas auprès de nos Frenchies adorés. Pfff !)

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  5. Kwey MD,

    Le bon usage des lettres ey...

    Hey! Moé pis Mistral c'est pas Brokeback Mountain. Même chose pour McComber. Y'a pas juste le cul dans la vie!

    Trois quarantenaires qui se rencontrent en même temps sur le ouèbe, ça fait des flammèches.

    C'est comme le bon, la brute et le truand, en tabarnakoscope.

    Je leur en devais une. Et je ne les connaîtrais pas que je leur en devrais une quand même, parce qu'ils ont satisfait mon insatiable appétit de lecteur.

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  6. C'est une grosse fin de semaine, Sandra. Ça me fait toujours plaisir d'ajouter un peu d'acide à batteries dans mon bouillon de poulet. Ça donne des soupes plus veloutées et le monde allume.

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  7. Kwey, Gaeytan !

    Excellent, le tabarnakoscope, excellent ! Entékâ, on n'a plus les trinités qu'on avait... ;-)

    C'était juste ma pause kitkat ; à dans 5-6 jours. Ciao et à tous les autres (dont Misko et Gaétan le Kodiak).

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  8. Plume aussi faisait partie de la Sainte Trinité - et quelle sincérité dans le jeu et l'interprétation!

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  9. « Tabarnakoscope ! » Je note (et je citerai).

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  10. C'est la voix de Mac qu'on entends?? Wow, moi qui m'imaginais une grosse voix caverneuse toute éraillée. C'est tout doux à l'oreille ce que j'entends.

    Merci pour la trouvaille Gaétan.

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  11. Dix sacres par jour éloigne l'abruti pour toujours!

    Gaétan B. Tu es l'intellectuel le plus facile à comprendre. À tes côtés on se sent grande.

    T'es génial ... Un jour, un soir, une nuit on remarquera ton talent.

    (Ben quoi tabarnak? Une blonde a ben le droit de trouver son chum merveilleux.)

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  12. Arrête, ma blonde, tu me fais rougir!

    J'suis pas génial, voyons donc! Tu mets les lunettes de l'amour, toé-là!

    Ah ben tabarnak... viens icitte que j'te fasse guili-guili!

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