jeudi 29 mai 2008

MEGWECH (MERCI EN ALGONQUIN)

Ce que j'aimais le plus dans le canot-camping c'est aussi ce que je détestais le plus, c'est-à-dire les portages. C'était un moment appréhendé avec un peu de crainte par le citadin que j'étais encore.

Je devais avoir quinze ans. J'étais un peu en avance sur le groupe. J'avais tellement peur de manquer d'adrénaline, avec mon canot et mon sac sur le dos, que je ne prenais aucun repos de crainte de ne plus être capable de repartir. J'avançais sur le sentier de portage du Parc de la Mauricie pour me rendre au Lac Caribou, à partir de la section nord du Lac Wapizagonke.

J'étais épuisé mais j'avançais petit à petit sur les sentiers, empruntant des pentes plutôt abruptes avec mon canot de 70 livres et mon pacsac. J'ai franchi des petits ruisseaux, puis traversé de petits marécages, dans une forêt qui me semblait de plus en plus obscure, comme dans La Divine Comédie de Dante, une sylve de plus en plus noire comme le Wendigo en personne...

Au détour de mon sentier de portage, je suis tombé sur deux jolis oursons noirs.

J'étais seul. Gulp! Je me sentais dans la marde. La mère ourse n'était pas loin. Les petits oursons ne m'avaient plus du tout l'air mignons...

J'ai planté la pointe de mon canot dans la terre puis, instinctivement, je me suis mis à cogner ma gamelle contre les parois de l'embarcation. Bedigne! Bedagne! Pis enwèye don' toé chose... Les oursons ont décampé. Je suis demeuré une dizaine de minutes, au beau milieu du sentier, seul, avec le canot planté dans la bouette. Sans bouger. Sans rien dire. Juste à me demander ce que j'allais faire. Il me venait des flashes de mère ourse qui vient te bouffer la face pour protéger ses oursons... Ouche!

Finalement, il a bien fallu que j'en revienne. Je ne pouvais pas rester figé là pendant des lunes à me demander si j'allais figurer au repas d'une famille d'ours de la Mauricie... Le plus tabarnak c'était encore de reprendre le même sentier où les ours étaient apparus. Mes sens de métis anishnabek, wendate et mi'kmac étaient plus aiguisés que jamais. Chaque bruit me rappelait le danger.

Je m'en suis sorti vivant, comme vous voyez.

J'en parle aujourd'hui avec tendresse, comme d'une grande leçon de vie.

Megwech! (Merci en algonquin.)

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